Par Hamma HANNACHI Il faut se rendre à l'évidence; depuis un certain temps, les citoyens sont inquiets, le climat politique, vicié déjà, s'assombrit davantage. Chez nous, on compte déjà des morts, le mont Châambi, qui, il n'y a pas longtemps, posait beau, plein soleil, servait de lieu de villégiature, est aujourd'hui en fumée, noirci de nuages et d'hélicoptères vrombissants, miné, transformé en terrain macabre. Les issues semblent embouchées, embouteillées, l'illusion, l'optimisme ou même l'espoir auxquels on s'attelait avec fermeté, s'éloignent de jour en jour. Quelques-uns débordant d'imagination évoquent une guerre mondialisée, des signes et perspectives effrayantes pointent au Moyen-Orient. Il y a quelque chose, qui ressemble à un roulis d'informations, une marée de sombres nouvelles nous cachent l'horizon, nous submergent, nous font tanguer jusqu'à perdre pied. Rien ne va plus, le déluge continue et il y a peu de chance d'y échapper, de trouver une position confortable pour juger. Et si par fortune, il vous arrive d'échapper au réel, les médias, les gens ordinaires, les responsables, les gens extraordinaires, la rue vous rappelle à l'ordre : le monde va mal. Le monde de l'art enfonce le clou, toujours en phase, parfois en avance sur la réalité. Il avait pressenti, illustré ces catastrophes, il n'en finit pas de les montrer. Cette saison, pas de Foire de l'art à l'espace Al Abdellia, cette rencontre annuelle, l'unique à avoir réuni, dans un seul espace, les intervenants, artistes, galeristes et collectionneurs, est supprimée, reléguée dans les casiers de l'histoire. Politique 2, une exposition de groupe au Centre d'Art vivant de Tunis est éloquente, singulière. Samedi, vernissage, beaucoup d'artistes, des amateurs d'art moderne. Les visiteurs découvrent des œuvres qui interrogent, choquent parfois ; les toiles de Shadi Al Zaqzouq, dont une œuvre à été censurée à Art Dubaï, attirent le public, peintures hyperréalistes, son travail illustre des images du Printemps arabe, scènes oniriques, des femmes en contestation dans la rue, leur quête de plaisir est manifeste, des slips sur des pendoirs, des « Dégage » omniprésents. L'exposition provoque des débats et des opinions contradictoires . Bon signe. Lundi matin, tous les artistes sont réunis pour un échange de vues, une confrontation avec des journalistes. La discussion se révèle passionnante, critiques et explications qu'on peine à chercher dans un autre espace d'art. Retour. Mai 2012, le pays est en ébullition révolutionnaire, avenir incertain, la situation est propice à toutes les audaces, 8 jeunes artistes, âgés de 25 à 30 ans, décident de créer un collectif, sans nom, ils sont diplômés, doctorants dans des écoles ou des instituts d'art, se prennent en charge, organisent leurs propres expositions. Ce qui les rapproche, c'est une vision moderne, civique, active de l'art. Ils touchent à plusieurs disciplines, vidéo, cinéma, télé, tag, sculpture, dessin, peinture, céramique, blog et ont pour but de partager des univers, des recherches qui intéressent les artistes en premier lieu, et non pas les galeries, les marchands ou les médias. Le collectif « Politiques » est né, loin des préoccupations des dandys de basse-cour. Exposition au Centre d'art vivant, montée pratiquement sans argent, grâce à la bonne volonté, la complicité de la directrice. Succès public critique timide. Mai 2013, le collectif s'est élargi, une expo à Paris, à la galerie Talmart, dirigé par Marc Monsallier intitulé politique 1. Simultanément, le Centre d'art vivant propose Politique 2, au collectif de départ se sont joints cinq autres dont le photographe Jallel Gasteli, le Français Mathieu Boucherit, le Palestinien Al Zaqzouq et le Sénégalais Iba Wane, des artistes internationaux, français, allemands, libanais, expriment le vœu d'intégrer le collectif. Le concept séduit, avancer en groupe est à notre sens la meilleure solution pour percer dans le paysage artistique, le succès de Dream City, de 24 heures pour l'Art, en est une preuve. Ismael, l'un des fondateurs, engagé dan le collectif, cinéaste, vidéaste, poète, il a exposé en Europe, aux Etats-Unis... une grande planche, images numériques captées à la télé, manipulées, elles nous rappellent que le présent tout comme l'avenir n'est pas amusant encore moins harmonieux, guerre silencieuse et mensonges politiques. Son complice Malek propose une vidéo où l'on voit la tête d'un mouton dodeliner en mouvements de balancier, une série de numéros indiquent la date de naissance de l'artiste qui se représente comme le mouton noir de la famille. Mathieu Boucherit présente une série de tableaux apparemment de facture académique, alors qu'ils expriment une vision lucide, tragique sur la manipulation des images en temps de guerre. Au bas d'un tableau, des bras et des mains dans différentes positions, manches de chemise, montres, le haut du tableau est noir, vide, un jeu ? C'est une scène vraie, prise en photo à Homs (Syrie) et recopiée, les bras portent un cercueil que l'artiste a effacé. Disparition, fuite et mort omniprésente. Imène Chatouane montre des bébés en céramique, nus, dodus, leurs visages ont muté en têtes de porc. Atef peint les « Harraga » à sa façon, trident en main et poulpes au visage, et tout est l'avenant. Actuellement, l'optimisme est rongé par les misères quotidiennes, l'idée que dégagent les œuvres exposées, sous leurs fascinantes formes, en est une copie... dramatisée.