Le chantier de la réforme du système sécuritaire tunisien a été remis au premier plan des priorités du pays, après avoir traîné ces derniers mois face à une hyperactivité politique, notamment des partis. Les événements de Chaâmbi en ont été la cause principale puisqu'ils ont révélé certaines défaillances dans le système sécuritaire ou du moins dans son mode de fonctionnement actuel. Le manque de visibilité dans les divers secteurs, le défaut de stratégie et de prospective dans le traitement sécuritaire, la non-constitutionnalisation du système républicain de la sécurité globale, l'absence de la culture et des corps de planification tactique et stratégique au sein du système sécuritaire, le défaut de volonté politique à engager les réformes, les carences au niveau du cadre juridique, l'absence d'une vision participative autour des réformes du secteur sécuritaire, le flou persistant quant aux diverses notions d'indépendance, de neutralité, de légitimité et autres comme le terrorisme, l'extrémisme, sont autant de facteurs à l'origine de ces contre performances. Tous ces éléments, entre autres, ont été relevés lors du diagnostic effectué, hier, par une pléiade d'experts et de chercheurs dans le secteur sécuritaire ainsi que des cadres du ministère de l'Intérieur. C'était à l'occasion d'un séminaire d'études organisé par l'Ecole supérieure des forces de sécurité intérieure autour de l'importance de la planification tactique et stratégique dans la politique de sécurité globale, et ce, au siège de la direction centrale de la Garde nationale, à Tunis. Juste après le mot d'ouverture du séminaire prononcé par le directeur général de la sécurité nationale, Ouahid Toujani, les interventions des chercheurs se sont succédé, pas uniquement pour faire un diagnostic de la situation actuelle du fonctionnement du système sécuritaire tunisien. En effet, le chercheur et président de l'Association tunisienne des études stratégiques et des politiques de sécurité globale, Nasr Ben Soltana, a relaté les péripéties du système de sécurité globale en insistant sur le rôle de la planification. «Elle délimite les règles d'activité à l'intérieur et à l'extérieur ainsi que les politiques suivies dans ce domaine (sécurité globale), sans pour autant prétendre donner les solutions à tous les incidents. La planification tactique et stratégique permet de réaliser un équilibre et une réactivité entre les variables nationales, régionales et internationales. Aussi, c'est une méthode pour prévoir les évolutions futures des situations, ce qui permet de définir les plans pour faire face aux dangers ou aux menaces. Malheureusement, c'est ce qui nous manque en Tunisie», a-t-il expliqué. Approche participative, passage obligé Selon le spécialiste des politiques de sécurité globale, l'approche participative entre les institutions de l'Etat et la société civile s'impose, d'où l'intérêt des centres de réflexion, qui demeurent quasi inexistants en Tunisie. «Dans notre traitement avec les affaires de sécurité, on est resté sur la logique de réaction en essayant de trouver des solutions instantanées à des questions non étudiées au préalable. Après l'indépendance, nous étions dans une logique de défense nationale jusqu'à 1973, puis on a opté pour la défense globale avec sa signification traditionnelle jusqu'à 1987. Après, on est passé à la défense globale dans sa portée moderne... Bref, nous n'avons pas une notion de sécurité globale claire. Il n'y a pas eu de définition des approches, des corps de sécurité globale pour le diagnostic, l'exécution, le suivi et l'évaluation. En plus, ce secteur n'a pas été bien cadré sur le plan juridique et on n'a pas constitutionnalisé le système de sécurité globale en Tunisie», a-t-il ajouté comme diagnostic de la situation du secteur sécuritaire tunisien. D'autre part, Ben Soltana a proposé de faire le diagnostic des priorités en matière de planification, de relater la réalité en vue de diminuer le décalage existant par rapport à la pensée stratégique dans le monde. Aussi, a-t-il recommandé de créer des corps de planification stratégique et appelé à mettre sur pied un conseil national de planification stratégique, au niveau de la présidence du gouvernement, outre des conseils à l'échelle régionale et des «think tanks» stratégiques. Ben Soltana a expliqué, entre autres, pourquoi il préfère éviter la notion de sécurité nationale, en référence au nationalisme, c'est qu'il y a plusieurs notions sujettes à différend en relation avec la notion de nationalisme. «Alors que la notion de sécurité globale, plus flexible, a été au cœur de certaines expériences à l'instar de pays comme la Tchéquie, la Russie ou la France, en Tunisie, nous en avons parlé dans les années 90 mais sans l'appliquer réellement», a-t-il souligné. Des facteurs mouvants Alors que Ben Soltana a indiqué qu'une collaboration doit avoir lieu entre le législateur et le système sécuritaire pour adopter les lois adéquates, chacun selon ses compétences, des intervenants ont critiqué cette option qui, selon eux, pourrait nous ramener à une nouvelle dictature. Pour sa part, le chercheur et expert en prospective et prévisions Khaled Gaddour a insisté sur l'importance de la vision participative et sur la veille quant aux facteurs mouvants dont le démographique, le social, l'économique, notamment dans les régions, et ce, en vue de cerner les risques et les menaces. De même, il a soutenu l'idée de mettre en place une stratégie fondée sur des méthodes scientifiques d'anticipation et de prospective pour évaluer, entre autres, l'évolution de la criminalité, l'extrémisme et le phénomène du terrorisme. Il a indiqué qu'il faut prendre en considération, tout au long de la réforme prévue du système sécuritaire, les possibilités de changement de certains facteurs et phénomènes liés à la sécurité à l'intérieur et l'extérieur avec une analyse rétrospective. «Le crime organisé est en perpétuelle évolution, notamment sur le plan des technologies utilisées. Nous avons un manque de visibilité dans les divers secteurs et le pays passe par une situation exceptionnelle, mais il y a des priorités en liaison avec le système sécuritaire à l'instar de la santé, l'éducation ou l'emploi. Il faut se mettre d'accord sur un modèle sociétal avant tout», a-t-il conclu son diagnostic. Des choses à revoir Pour ce qui est des solutions, Mohamed Al Assaâd Derbez, président du Conseil d'administration de la mutuelle des fonctionnaires de la sécurité nationale, a appelé à revoir les fonctions et les tâches de toutes les composantes du système sécuritaire, individus et corps sécuritaire entiers. De même, il a recommandé de réviser le système de répartition sécuritaire sur le plan territorial et institutionnel, ainsi que les ressources humaines et financières. Il a évoqué la communication au sein des institutions sécuritaires et entre elles et la société civile. Il s'est étalé également sur les notions et les principes sur lesquels doit être instaurée l'institution sécuritaire républicaine. Le débat a été intéressant en ce qui concerne les possibilités d'interférence entre le légitime et le légal, et certains des cadres de la sécurité nationale ont évoqué les limites au-delà desquelles le législateur peut instaurer, à travers les lois, un système sécuritaire qui serait en faveur du pouvoir exécutif. Question sur laquelle les intervenants ont insisté prévenant contre les risques d'entamer, par la loi, la neutralité et l'équité de l'appareil sécuritaire qui a connu, des décennies durant, une instrumentalisation de la part des pouvoirs politiques...