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Un non-sens
Opinions - Concept de ‘‘dawla madanyya'' dans la pensée islamiste
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 06 - 2013

A consulter les projets de constitution présentés par les partis politiques, les associations et les experts, à l'occasion des élections du 23 octobre 2011, et à entendre les déclarations des politiciens et intellectuels tunisiens, on peut constater que la plupart d'entre eux expriment un attachement indéfectible au caractère civil de l'Etat, illustré par le concept de «dawla madanyya». En effet, ce concept de «dawla madanyya» qui n'a pas, d'ailleurs, d'équivalent précis en langue française, fait l'objet d'un consensus national et recueille l'adhésion de tous les Tunisiens, ou presque. Et l'article 2 du projet de constitution, rendu public par l'Assemblée nationale constituante le 1er juin 2013 est venu corroborer ce constat. Ce texte dispose, en effet, que «la Tunisie est un Etat civil (ou civique), dawla madanyya, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la suprématie du droit».
Le concept de «dawla madanyya» fut inventé au XIXe siècle par Cheikh Muhammad ‘Abdu, et ce, dans le dessein de dépasser le caractère théocratique de l'Etat islamique, qui l'avait emporté durant l'histoire de cette religion, dans les livres relatifs à la politique, aussi rares soient-ils. Pour s'en convaincre, il suffit de consulter la littérature de Ibn Khaldûn ou de Abu Al-Hassan al-Mâwardi. Ce dernier définissait le calife par sa fonction essentielle. Il écrivait, dans Les statuts gouvernementaux que «l'Iman est celui qui supplée le prophétisme pour la sauvegarde de la religion et l'administration des intérêts temporels». Quant à Ibn Khaldûn, il alla plus loin dans la Muqaddima, en assignant au Calife la mission d'appliquer les dispositions de la Loi divine (shar'à) la communauté en vue de son salut ici-bas et dans l'au-delà, et en le proclamant «intérim de l'Auteur de la Loi sacrée visant à sauvegarder la religion et à gouverner la vie terrestre, à travers ses préceptes». Le lien entre le calife et ses sujets (ra'yya) reposait sur le serment d'allégeance (bey'a) qui est, toujours d'après Ibn Khaldûn, un pacte de soumission passé entre le gouvernant et les gouvernés. Le caractère théocratique du Califat ou Imamat, en Islam sunnite et même shiite orthodoxe, est donc indéniable. Mais les limites de cette forme d'organisation du pouvoir étaient avérées ; au XIXe siècle, la réforme s'imposa.
Dans cette optique, Cheikh Muhammad ‘Abdu inventa le concept de «hukûma madanyya», gouvernement civil, qu'il opposa à la théocratie. A cet effet, il tentait de battre en brèche certaines métaphores faisant du calife «ombre de Dieu sur terre» au «vicaire de Dieu» ou encore «Son lieutenant délégataire de son pouvoir» ... Il affirmait que, dans l'Islam authentique et vrai, «le Califat ne constitue point un pouvoir de nature religieuse ou ecclésiastique, mais que, au contraire, le calife tient son autorité de la communauté (Umma titulaire du pouvoir dont elle l'investit en vertu d'un acte d'investiture, un acte constitutif, en l'occurrence la bey'a, qui devient, alors, un mandat par lequel la communauté lui délègue ses prérogatives, et elle se réserve le droit de le révoquer quand bon lui semble».
La Umma souveraine
La thèse de Cheikh Muhammad ‘Abdu fut adoptée, près d'un demi-siècle plus tard, notamment par Cheikh Muhammad Tahar Ibn Achur dans «La critique scientifique du livre l'Islam et les fondements du pouvoir» de ‘Ali ‘Abderaziq et ce, toujours dans une logique réformiste. Mais ce sont les islamistes dits modérés, qui avaient tourné le dos au réformisme et qui se sont dressés contre les institutions religieuses traditionnelles d'Al-Azhar et de la Zitouna, qui récupérèrent cette thèse et qui reprirent le concept de «dawla madanyya» pour leur compte. Ce concept devint, alors, la doctrine du Mouvement des frères musulmans.
Ainsi, Sayyed Kotb, figure emblématique du mouvement islamiste, écrivait-il : «La plus étrange illusion qui habite l'esprit de nombreux, à propos du prêche de l'Islam, est qu'ils revendiquent un gouvernement religieux, c'est-à-dire de confier la gestion des affaires de la vie terrestre à des clercs cheikhs portant les rubans. Or, les Frères musulmans n'ont jamais soutenu de tels propos; ils réclament, au contraire, le gouvernement islamique, c'est-à-dire l'application de la loi (shari'a), laquelle shari'a ne requiert pas de clercs parce que l'Islam ne connaît point de clergé qui exerce le pouvoir. Lorsque la shari'a est appliquée, le gouvernement islamique est instauré». Cheikh Youssef al-Qaradhâwi, théologien islamiste, s'aligne sur cette position. Il en est de même pour Rached Ghannouchi, fondateur du Mouvement islamiste tunisien. Il écrit : «Il est un consensus établi parmi les ulémas jurisconsultes musulmans, anciens et contemporains, selon lequel le gouvernement tient son autorité de la Umma souveraine dans le cadre de la shari'a et ce, conformément à la bey'a (allégeance), contrat en vertu duquel l'Imam s'engage à appliquer les préceptes de la shari'a, à consulter la Umma et à faire preuve de justice, en contrepartie de l'obéissance ». Ainsi, un nouveau concept fait son entrée dans la pensée islamiste, il s'agit du concept de «la Umma souveraine». L'adoption de ce concept ne peut qu'aboutir au rejet d'un autre, ou plus précisément à sa redéfinition, celui de hakimyya, souveraineté divine ou al-hukm li-Allah, gouvernement de Dieu, inventé par Muhammad ‘Ali Mawdûdi et repris par Sayyed Kotb, dans le cadre de sa théorie de al-ulûhyya, souveraineté du Seigneur. Et Rached Ghannouchi d'ajouter: «Hukm Allah, le gouvernement de Dieu, signifie le gouvernement du droit et celui de la Umma qui est un principe fondamental dans l'Etat moderne, l'Etat de droit. Le pouvoir n'y appartient ni aux rois, ni aux élites isolées, mais aux masses (jumhûr) de la Umma dans le cadre de sa foi, de sa croyance et de ce qu'elle choisit. Ainsi donc, le gouvernement de Dieu se ramène à celui du peuple, et ce, en l'absence d'une autorité ecclésiastique qui prétend parler au nom du ciel ou avoir le monopole de l'interprétation des textes sacrés. Ainsi, le pouvoir se trouve entre les mains des humains soit à travers leurs représentants, soit directement, par voie de référendum». Et c'est là, d'après l'auteur, toute la signification du concept de démocratie, jadis rejeté par les islamistes, désormais admis par les plus modérés d'entre eux.
L'Islam n'est guère violence
La voie royale, pour parvenir à instaurer cette «dawla madanyya» serait, pour les islamistes dits modérés, la voie pacifique, et ce, contrairement aux islamistes djihadistes qui prônent, jusqu'à aujourd'hui, le djihâd comme unique moyen de changement. Ainsi, Sayyed Kotb invoquait, à l'appui de sa prédication, les notions de djihad, guerre sainte, sacrifice, champs de bataille, lutte armée, martyrs ; il n'hésitait pas, par ailleurs, à traiter les fuqahas qui le contredisaient dans cette approche, d'hypocrites, voire de traîtres. Pour les islamistes dits centristes, les choses se présentent autrement. Ainsi, Youssef al-Qaradhâwi qualifie le djihad guerrier de violence pure et tente de persuader les adeptes du courant djihadiste du fait que l'Islam n'est guère violence, qu'il est tolérance et paix, faisant référence à des versets coraniques et à la tradition du Prophète. Quant à Rached Ghannouchi, il va encore plus loin en parlant de transition pacifique du despotisme à l'Etat démocratique du peuple. Ainsi, il appelle les islamistes à la résistance civique à la dictature et à militer à tous les niveaux, individuel et collectif, éducatif, associatif, syndical, et à agir sur le terrain. L'évolution de la pensée islamiste dite modérée est, à ce niveau, de taille.
Toutefois et malgré la reconnaissance des concepts de démocratie et de «dawla madanyya» fondée sur la volonté souveraine de la Umma, les islamistes les plus modérés ne vont pas jusqu'à prôner la séparation des pouvoirs spirituel et temporel ou la distinction du religieux et du politique. Au contraire, ils en affirment l'unité et ils s'acharnent contre la laïcité. Tel est le cas de Imed Eddine Khalil, Sayyed Kotb, Youssef al-Qaradhâwi, Muhammad ‘Imara et Rached Ghannouchi qui soutiennent, tous, que la laïcité est une invention occidentale qui s'inscrit dans le cadre de la chrétienté, se justifiant par la domination de l'Eglise de la vie politique, sociale et même du domaine du savoir scientifique, qu'elle est importée et imposée au monde musulman et qu'elle est susceptible d'entraîner une schizophrénie puisque soumettant l'esprit à une loi, et le corps à une autre. Mais si les islamistes ne prônent pas la séparation du religieux et du politique, ils ne prétendent pas, non plus, que le pouvoir politique est sacré, et ce, du fait même qu'il n'appartient pas aux clercs. Le gouvernement relève donc du domaine du profane, mais il n'y a pas lieu de le séparer du religieux, du sacré. Point de confusion, donc, entre religion et politique, mais, en même temps, il est hors de question de les séparer : rapports ambigus entre ces deux registres et des lignes de démarcation floues et incertaines !
Un attribut de la souveraineté
Cependant, si pour les islamistes, la politique fait partie du profane, le droit, lui, relève du domaine du sacré. En effet, le droit en tant que norme se rapportant aux relations humaines dans la société est l'une des composantes de la shari'a qui l'englobe ; il correspond aux mu'âmalêt relations-transactions. La shari'a, dans son acception orthodoxe exprimée par Hujjat al-islam, argument ou autorité de l'Islam, Abu Hamed al-Ghazâli, trouve son fondement dans sa source divine ; elle tient sa valeur prescriptive du fait qu'elle est l'expression de la volonté du Très-Haut. Elle revêt, donc, un caractère sacré. Les islamistes prétendent séparer le droit sacré shari'a et la politique profane tout en maintenant celle-ci sous le contrôle de celui-là et tout en affirmant, surtout, instaurer un Etat moderne, un Etat de droit. Or, l'état moderne se définit essentiellement par son pouvoir exclusif de légiférer c'est-à-dire de créer et d'appliquer le droit. Cette compétence législatrice est un attribut de sa souveraineté. Il n'y a guère d'Etat moderne en l'absence du pouvoir d'édicter la norme juridique. Et c'est là, le sens immédiat de l'Etat de droit, d'après Hans Kelsen. Dans cet Etat moderne, il n'est pas question de séparer politique et droit. Ce dernier constitue l'expression, la traduction des choix et des options politiques, non pas de manière immédiate, mais dans une logique institutionnelle et surtout, dans le respect des droits humains.
Néanmoins, les islamistes dits modérés, tout en affirmant le caractère sacré de la shari'a, reconnaissent la nécessité d'un droit positif qu'ils appellent ijtihad, effort d'interprétation et istinbât, effort de création de la norme et ce, étant donné le fait que la Loi divine n'est qu'un ensemble de principes généraux qui requièrent une intervention humaine pour leur mise en œuvre. Ils reconnaissent, également, le caractère opportun des procédures démocratiques modernes qui tendent à organiser l'ijtihâd et l'istinbât. C'est cela que les islamistes entendent en appelant à la consécration de la disposition constitutionnelle selon laquelle «la shari'a est source du droit». C'est cela, aussi, qu'ils entendent en insérant dans le préambule du projet de Constitution la règle d'après laquelle le texte fondamental est lui-même fondé sur les préceptes de l'Islam. Le droit positif, y compris la Constitution, tiendrait, donc, sa validité de sa conformité à la shari'a qui serait une sorte de principes supérieurs, une sorte de droit naturel, concept qui n'a jamais été, toutefois, reconnu par la théologie musulmane orthodoxe, mais dont le contenu est en train de glisser progressivement dans la pensée islamiste. Et c'est cela, précisément, qu'entendent les islamistes en affirmant que la Umma est souveraine dans les limites de la shari'a.
Droit naturel, droit positif
Or, dans l'Etat moderne, « il n'y a de droit que le droit de l'Etat », disait Ihering. L'édification de cet Etat moderne constitue le dépassement philosophique et historique de la dualité de la pensée naturaliste traditionnelle qui opposait le droit naturel au droit positif et qui établissait un rapport hiérarchique entre eux. Toutefois, les islamistes dits modérés et notamment les islamistes tunisiens du Mouvement Nahdha, se disent prêts à ne pas consigner, dans le texte de la Constitution, la disposition qui érige la shari'a en source du Droit. Mais, ces mêmes islamistes expriment un attachement très fort à la disposition constitutionnelle d'après laquelle «l'Islam est la religion de l'Etat ». En fait, l'article 1er de la Constitution tunisienne du 1er juin 1959, aujourd'hui repris dans le projet de Constitution, prévoit que « la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain. L'Islam est sa religion ...». Disposition ambiguë : est-ce que l'Islam est la religion de l'Etat ou de la Tunisie en tant que pays, peuple ou civilisation? S'agit-il d'une règle prescriptive ou d'une description du peuple tunisien en vue de rendre hommage à l'Islam comme facteur constitutif de la civilisation tunisienne ? De quel Islam s'agit-il, de l'Islam rituel et spirituel ou bien de l'Islam juridico-politique ? de l'Islam coranique ou de celui des écoles de fiqh et des rites ? ... Cependant, le Mouvement Nahdha a une réponse à ces questions, une réponse qu'il apporte dans l'article 141 du projet de constitution : c'est de l'Islam de l'Etat dont il s'agit ; un Islam qui implique que la substance du droit positif soit inspirée de la shari'a, sinon ce mouvement n'aurait pas renoncé à sa demande consistant à insérer dans la Constitution la règle selon laquelle «la shari'a est source de la législation », il n'aurait pas non plus évoqué la nécessité de mettre en œuvre l'article 1er de la Constitution et il n'aurait pas exprimé un attachement sans faille audit article 141. Cela veut dire que, malgré l'évolution apparente de la pensée des islamistes dits centristes, ceux-ci ont encore une conception totalitaire de l'Islam, ils le considèrent toujours comme englobant religion, foi, Etat et vie terrestre (Dîn, Dawla et Dunya), dans un ordonnancement hiérarchique, de l'au-delà et d'ici-bas. D'ailleurs et dans le même ordre d'idées, Rached Ghannouchi écrit : « ... se contenter de célébrer le rituel et le culte individuels sans déployer les efforts nécessaires en vue d'instaurer le régime islamique constitue un retour à la jâhilyya, temps de l'ignorance et des ténèbres, époque préislamique en ce qu'elle est hérésie et anarchie»
Que de contradictions voire de non-sens dans le concept de «dawla madanyya» issu de la pensée islamiste dite modérée ! Tout le problème de ce concept réside, à notre avis, dans le titulaire de la souveraineté, à savoir, la Umma.
Conception messianique
En effet, celle-ci n'est ni le peuple, ni la nation dans leurs acceptions modernes. La Umma est une communauté de frères dans la foi, c'est une fratrie. Elle n'a pas d'existence propre par rapport à Dieu, elle est Sa création : «Vous êtes la meilleure communauté qui soit surgie parmi les humains; vous recommandez le bien, vous proscrivez le mal et vous croyez en Dieu» (Coran III-110), selon les termes du Coran. La Umma est, donc, sortie au monde par la volonté de Dieu. Elle est élue, par Lui, meilleure communauté. Une conception messianique préside à sa création puisqu'elle est dotée d'une mission, d'un mandat divin consistant à propager le bien et à combattre le mal, à répandre la vertu. Elle est, de ce fait, dépositaire d'une autorité divine. Mais, comme elle se compose d'innombrables membres qui ne peuvent assurer tous cette mission ; c'est le concept de représentation qui a vu le jour aussi bien dans la pensée sunnite orthodoxe, que dans la pensée islamiste contemporaine. Dans la première, ce sont les gens qui délient et qui lient ahl al-hall wal-‘aqd et ceux qui détiennent le commandement parmi les croyants et à qui, ces derniers doivent obéissance, qui représentent la Umma ; alors que, dans la seconde, ce sont les parlementaires élus qui en assurent la représentation. Toutefois, tous ces représentants ne sont pas habilités à créer le droit, mais uniquement à interpréter les textes sacrés, Coran et sunna, en appliquant les règles de l'exégèse définies par la science de la norme religieuse fiqh. Mais, celui-ci est lui-même sacralisé, dans les faits, parce qu'exprimant la volonté des ‘ulémas représentants de la Umma, de la volonté de cette dernière et par-delà, de la volonté de Dieu dont la Umma est ombre sur terre. Il s'agit, donc et finalement, d'une conception théocratique déguisée, qui ne dit pas son nom. Bien que la théocratie soit récusée par les théologiens et les islamistes, ceux-ci ne font qu'y sombrer parce qu'ils éprouvent des difficultés énormes à redéfinir voire à se défaire, du concept de Umma ou du moins, à lui ôter sa dimension juridico-politique. Le concept de dawla madanyya tel que conçu par les islamistes dits modérés, véhicule une conception théocratique.
Un concept, pour avoir une valeur scientifique, doit rendre compte, de manière cohérente, d'une réalité. Le concept de «dawla madanyya», chez les islamistes est loin de l'être. Il est l'expression du syncrétisme propre à leur pensée, il est symptomatique du désir de concilier les exigences de la Modernité et celles d'un passé et d'un legs qu'ils cherchent à revivifier ou à conserver. En fin de compte, ce concept de «dawla madanyya» tel qu'exprimé par les islamistes les plus modérés, est un non-sens !
*(Juriste, universitaire)


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