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Tunisie : «Je fais le pari de l'optimisme. Je pense que c'est un pari gagnant» Entretien avec M. Hervé DE CHARETTE, Ancien ministre français des Affaires Etrangères, Président de la Chambre de Commerce Franco-Arabe
Invité d'honneur au colloque du Cercle diplomatique organisé, hier à Tunis, à la veille de la visite du président français en Tunisie, M. Hervé de Charette, ancien ministre français des Affaires étrangères et président de la Chambre de commerce franco-arabe, plaide dans cet entretien à La Presse pour «une refondation des rapports entre la France et la Tunisie et pour un dialogue politique approfondi» entre les deux pays. A la veille de la visite du Président Hollande en Tunisie, pensez-vous que la France va s'engager dans un new deal avec la Tunisie post-révolution? Je crois que la venue du président de la République française à Tunis est un évènement très important. C'est aussi un événement attendu, et il est bien que le président de la République française vienne au-devant des dirigeants tunisiens. Au moment des évènements de 2011, il ya eu des malentendus fanco-tunisiens. En réalité, il y a dans l'opinion publique tunisienne la trace d'un malentendu plus ancien. Il n'est en effet pas douteux que la France, en tout cas lors de la période précédente, n'a pas toujours su trouver le ton juste. Aujourd'hui, c'est bien de repartir d'avant- pied, d'avoir un regard sur l'avenir et de travailler à ce que peuvent et doivent faire ensemble la France et la Tunisie. Parce que, quoiqu'il arrive et dans toutes les circonstances, le destin de la France et le destin de la Tunisie sont certes, distincts mais ils sont liés. Nous ne pouvons pas vivre, les uns sans les autres. Je pense que la Tunisie a besoin de la France, mais je pense aussi que la France a un grand besoin de la Tunisie. Il s'agit aujourd'hui de faire une refondation des rapports entre la France et la Tunisie. Ce qu'on attend, c'est un dialogue politique approfondi. Du côté français, nous sommes pleins de disponibilité d'esprit pour la période tout à fait extraordinaire que traverse la Tunisie. Il ne nous appartient pas de nous en mêler, mais en même temps nous sommes à l'écoute. La Tunisie a, jusque-là, vécu sur un modèle économique basé essentiellement sur une main-d'œuvre à bas prix au service des pays développés. Nous avons à cet égard le devoir d'apporter notre concours à la migration de l'économie tunisienne vers une économie fondée sur le savoir, l'ingénierie et le talent de la population tunisienne. A l'occasion de la rencontre du Cercle diplomatique, vous avez insisté sur la dimension méditerranéenne incontournable de la Tunisie. Seriez-vous à même de faire un diagnostic de ce qu'est devenue l'initiative Union pour la Méditerranée, impulsée par la France en son temps ? En 1995, nous avons lancé avec l'Espagne le processus de Barcelone. L'idée était de réunir l'ensemble des pays méditerranéens autour de valeurs et d'objectifs communs.L'affaire israélo-palestinienne a, si je peux dire, un peu brouillé les pistes. Elu président de la République, M. Sarkozy a pensé qu'il pouvait relancer ce processus avec un nouveau concept: l'Union pour la Méditerranée. Il faut regarder les choses avec lucidité; dans le pourtour de la Méditerranée, les situations sont très diverses: il y a des pays qui sont à la recherche de leur avenir, c'est le cas de la Tunisie et de l'Egypte, il ya des pays qui traversent des drames, c'est le cas de la Syrie. Réunir, dans ces conditions, tous les pays du pourtour de la Méditerranée n'est pas une chose si facile. En même temps, on ne peut pas renoncer à cette idée que nous, les Méditerranéens, avons à construire un projet commun. Celui de faire de la Méditerranée un espace de paix, de développement et de liberté. Je pense que la France et la Tunisie devraient nouer un partenariat d'intérêt commun dans cette perspective. Par le passé, on ne pouvait pas le faire. Maintenant que la Tunisie a soulevé le couvercle qui pesait sur elle et qui, d'une certaine façon, l'isolait, cette Tunisie nouvelle qui est en train d'émerger est un partenaire qui va être très important dans l'histoire de la Méditerranée. L'Europe a manifesté un grand enthousiasme pour la révolution tunisienne. L'élan de soutien financier à la Tunisie n'a guère dépassé le stade des promesses. Jusqu'à ce jour, il a été remarqué un certain raidissement des investissements européens en Tunisie. Croyez-vous qu'un rythme de croisière plus soutenu en la matière serait envisageable, à l'aune du processus démocratique en Tunisie ? Il est vrai que les promesses du G8 de Deauvilles n'ont été tenues par personne. Maintenant, même si la France et l'Europe connaissent des difficultés, je pense qu'il est nécessaire que nous apportions à la Tunisie moderne l'appui, le soutien et l'aide dont elle a besoin. Il n'y a pas de doute sur ce point. Les observateurs ont noté que de gros efforts promotionnels étaient accomplis par les autorités tunisiennes en direction du principal partenaire qu'est l'Union européenne. Comment verriez-vous un partenariat rénové entre la Tunisie et l'Europe ? Je suis persuadé que, du côté européen, il ya une grande disponibilité d'esprit. L'Europe est désireuse d'avoir avec les pays méditerranéens des accords de commerce et de libre-échange. Je souhaite aussi voir des accords à caractère politique, parce qu'on a, sur ce terrain-là, partagé des idéaux et des objectifs. On peut devenir des partenaires à part entière. C'est tout à fait possible. En même temps, vous savez, il y a deux Europe. Pour l'Europe du nord, la Méditerranée c'est loin. Il me semble que les pays de l'Europe du sud devront jouer un rôle « spécial ». Je suis intéressé par l'idée que nous devrions avoir des partenariats qui traversent la Méditerranée et qui ne doivent pas nécessairement entrainer toute l'Europe derrière elle. Quelles sont vos appréciations quant au déroulement, jusque-là, du processus démocratique en Tunisie ? Si je le compare au déroulement, pour employer vos mots, du processus démocratique de la révolution française qui a commencé en 1789 et qui a dû finir en 1795-96, il est évident de dire que c'est normal que des événements de cette importance prennent du temps à s'épanouir et à se réaliser, à s'achever. Si j'ai un mot qui me vient à l'esprit quand je vois ce que font mes amis Tunisiens, c'est le mot confiance. Je suis sûr que les Tunisiens, au terme de débats sûrement passionnés, sauront trouver ensemble la voie qui leur permettra d'être un pays épanoui et moderne dans le monde de demain. Un scénario à l'égyptienne est-il possible en Tunisie ? On n'est pas obligé d'envisager les situations les plus difficiles ou dramatiques. Il n'y a pas lieu de porter des appréciations sur le débat politique interne à la Tunisie. Tout observateur sérieux voit bien que la Tunisie est très différente de l'Egypte. Le rôle qu'avait été celui de Bourguiba, la place des femmes, le très haut niveau d'éducation de la société tunisienne...créent des situations historiquement différentes de l'Egypte. Vous venez de rencontrer MM. Béji Caïd Essebsi et Ahmed Nejib Chebbi. De quoi était-il question ? Je suis un ami de la Tunisie depuis longtemps. Je suis un observateur amical mais très attentif. J'ai aussi rencontré des élus et des responsables économiques. Ce que j'en ai retenu d'une manière générale, c'est qu'il ya en Tunisie un débat démocratique très vif, très intense. Cela constitue en soi un progrès formidable. Je fais le pari de l'optimisme. Et je pense que c'est un pari gagnant. La démocratie, disait Churchill, est le pire des régimes, à l'exception de tous les autres.