C'est hier au palais du Bardo que les élus du peuple ont procédé à l'élection des cinq membres non magistrats appelés à siéger à l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire (Ipoj), dans une plénière qui s'est déroulée, une fois n'est pas coutume, à peu près correctement. Pour rappel, c'est bien lors du congrès électoral tenu dimanche 7 juillet, que dix magistrats avaient été élus par leurs pairs, en sus des cinq hauts magistrats nommés ès qualité, à l'instar du procureur général de l'Etat, ou encore du premier président de la cour de cassation. Avec l'élection des cinq membres restant, la boucle a été bouclée, hier, quant à la composition de la très attendue Ipoj avec ses 15 membres. Une naissance douloureuse, ajournée plusieurs fois, suscitant à l'Assemblée même, et a fortiori dans le secteur judiciaire, un grand débat et des tiraillements à ciel ouvert. Notamment entre le Syndicat des magistrats d'un côté, l'Association des magistrats (AMT) de l'autre. Pendant que le syndicat optait pour des reports indéterminés, si toutes les conditions assurant l'indépendance de cette structure n'étaient pas remplies, l'Association des magistrats, se voulant plus pragmatique, avait toujours préféré doter la profession d'une instance régulatrice, plutôt que de la laisser exposée aux aléas d'un vide institutionnel, qualifié de dangereux. Sans cette instance, faisant office, de facto, de conseil supérieur de la magistrature, c'est effectivement le pouvoir exécutif, le ministère de la Justice, en l'occurrence, qui est appelé à ordonner les mesures disciplinaires, la promotion des magistrats, leur mutation, et autres plans de carrière. Le risque que pouvait engendrer le cumul des deux pouvoirs, l'exécutif et le judiciaire, ainsi que la menace de voir domestiquer, comme au bon vieux temps, le corps des magistrats, avait poussé l'AMT à réclamer et œuvrer pour une activation du processus constitutif de l'Ipoj. Ainsi fut fait. Hier, donc, les députés présents à hauteur de 166 à l'hémicycle, lors du comptage du quorum, ont été appelés à élire cinq membres non magistrats; trois professeurs universitaires et deux universitaires devant nécessairement exercer la profession d'avocat, comme le stipule la loi organique en date du 2 mai 2013, portant création de l'Instance provisoire de l'ordre judiciaire. Les deux commis d'office Mohamed Gahbiche, député de l'Alliance démocratique, en sa qualité de président de la commission de pilotage des élections de l'Ipoj, relevant de l'ANC, déclare à notre journal que «pour les deux postes destinés aux professeurs doublés d'avocats, deux candidats seulement ont été retenus. Il est presque certain que les deux seront élus d'office. Faute de quoi, c'est toute la liste qui tombe, et avec, l'Ipoj, étant devenue non conforme au texte de loi». En tout bien tout honneur, avant même la proclamation du suffrage, tout le monde savait que Mourad Knani et Sami Jerbi allaient être élus pour des postes paraissant confectionnés sur mesure. Etant les seuls universitaires sur la liste finale des candidats exerçant la profession d'avocat. A la question de savoir si la supériorité numérique du parti Ennahdha avait joué en faveur de candidats plutôt que d'autres ? Certainement, nous répond laconiquement le président de la commission, pour reconnaître ensuite : «Oui des consignes de vote ont été données pour éviter le blocage. Ce projet de loi a été rejeté une fois en août 2012, il a été revu en février 2013, pour être finalement adopté en mai 2013. Aujourd'hui, nous sommes tous d'accord sur la nécessité impérieuse de la création d'une instance de l'ordre judiciaire», a-t-il conclu, philosophe. Après une heure trente environ de dépouillage des bulletins dans la salle 1, l'identité des récipiendaires a été révélée en plénière. Et, sans surprise, les deux universitaires avocats ont été élus. Mais surprise, il s'est avéré que 193 députés ont voté, et non pas les 166 comptés au démarrage de la séance. Chose qui a poussé Noomane El Fehri à réclamer la liste des députés votants. Le vote étant anonyme. Les résultats du scrutin : Noomane Rekik : 86 voix, Souad Moussa : 72, Sonia Elleuch : 143, Abderrazak Mokhtar : 166, Abdelkader Fathallah : 117, Mourad Knani : 182, Sami Jerbi : 148. Dans ce club des cinq très fermé, une seule femme figure. Sachant, néanmoins, que sur les dix magistrats élus dimanche dernier, trois magistrates ont été sélectionnées. Finalement, l'Instance provisoire de l'ordre judicaire a vu le jour. Evénement considéré par beaucoup comme un triomphe. Le président de la commission de pilotage, M. Gahbiche, a fait valoir, à la proclamation des résultats en plénière, les efforts de tous pour venir à bout d'un processus très ardu. Il est probable que l'instance soit opérationnelle dès demain (aujourd'hui), a-t-il déclaré, visiblement ému. Il a émis le vœu qu'une instance permanente constitutionnalisée voie le jour pour garantir, de manière irréversible, a-t-il insisté, l'indépendance du pouvoir judiciaire en Tunisie. L'hymne national fut entonné.