Il n'a pas toujours fait partie de La Presse, ni d'un autre organe médiatique, le gros de sa carrière ayant été consacré — peut-être sacrifié — à un établissement bancaire. Quand il a intégré notre journal, en tant que correcteur, puis en tant que collaborateur dans le service culturel, on lui découvrit des penchants réels pour les lettres, pour les arts aussi, surtout la musique. Il en maîtrisait le lexique et en dominait autant les contours que le fond. Son affabilité et sa disponibilité ont fait qu'on l'adoptât vite — ce qui n'est pas toujours facile dans un journal — et qu'on recourût à lui pour d'innombrables couvertures, comptes rendus et autres missions qu'il ne refusait jamais. Poli et gentil à l'extrême, il se répercutait dans ce qu'il écrivait, mettant en évidence les louanges et noyant ses rares critiques, grâce à un verbe facile et à un français châtié, dans force de détours et de demi-mots. Tant pis pour les taquineries et les petites critiques qu'il recueillait. C'est, d'ailleurs, pourquoi il préférait écrire à propos de ce qu'il aimait, plutôt que de ce qu'il dépréciait. Mais il se gardait de le dire expressément. Aussi, a-t-il réussi l'exploit de faire, pendant près de 20 ans, du journalisme en échappant à cette nécessaire dualité du journaliste qui fait qu'il s'abstrait de sa nature pour refléter l'objet de son écrit, dans les louanges comme dans la polémique. Ouvert, démocrate, l'esprit résolument et profondément moderne, Adel Latrach — c'est de lui qu'il s'agit — ne se révélait véhément et ni laissait sa langue et sa plume verser dans les critiques les plus acerbes que lorsqu'il abordait la montée de l'islamisme extrémiste, l'obscurantisme, le totalitarisme et le risque que sa Tunisie, dans laquelle il a toujours vécu et qu'il chérissait, ne s'y embourbât. C'est ainsi que malgré la maladie qui l'a empêché, ces derniers temps, de se déplacer pour les différentes joutes culturelles, il a continué d'écrire et de trouver des «prétextes» journalistiques, afin de multiplier dénonciations et mises en garde contre tout ce qui est susceptible de toucher à la modernité, à l'ouverture et à la diversité de son pays. Amoureux de la vie, appréciant le livre, les arts, les blagues et la bonne compagnie, il a lutté autant qu'il a pu contre le mal qui le rongeait, l'a défié et nargué, mais ses forces l'ont définitivement abandonné, avant-hier au soir. Tu nous manqueras Adel, mais nous nous rappellerons ce que tu écrivais, ce que tu disais et nous nous dirons que tu auras eu la chance de mener ton existence comme tu le voulais : en brave homme, en bon père, en bon vivant et en journaliste avisé. Adieu, l'ami. Adieu, confrère !