Les récentes déclarations de différents protagonistes de la scène politique en disent long sur la fragilité et la frilosité de la classe politique. Et pour cause, les vicissitudes d'Egypte pèsent comme une profonde angoisse sur les pensées obsessionnelles de la majorité gouvernementale. Le mouvement Ennahdha, le CPR et Ettakatol semblent craindre comme la peste l'évolution à l'égyptienne sous nos cieux. On pourrait même parler de syndrome d'Egypte. Certes, les conditions sont fort différentes, voire disparates, en Tunisie et au pays du Nil. Mais les gens n'hésitent pas à faire le rapprochement, sinon parachuter et intérioriser des schémas hâtivement empruntés ailleurs parfois. Et puis aux moments forts de la crise égyptienne, le mouvement Tamarrod — Rébellion — a donné également de la voix chez nous. La rapide destitution de l'ex-président égyptien Mohamed Morsi et la mise en difficulté majeure des Frères musulmans égyptiens fait craindre le pire. Depuis quelques mois, la légitimité des gouvernants est sérieusement ébranlée sous nos cieux. Les crises se sont succédé, imbriquées, chevauchées. Cela remonte au 9 avril 2012. Depuis les événements tragiques de cette journée mémorable, la Troïka gouvernementale est sous le feu croisé des critiques et des situations conflictuelles. L'enfermement du pouvoir dans une logique sourde et autoréférentielle a concouru à envenimer la donne. Il en est résulté une crise gouvernementale de plusieurs mois avant la mise sur pied d'un nouveau gouvernement de la Troïka bis. L'empêtrement de l'Assemblée constituante dans les luttes dignes de la pire des partitocraties en rajoute au marasme. Dans l'opinion, la classe politique gouvernante, mais aussi une large frange de l'opposition, sont mues par le seul souci de préserver leurs privilèges. Inversement, la situation économique et sociale s'est profondément dégradée. Le renchérissement vertigineux des prix se conjugue à la poursuite du chômage massif et de la marginalisation des régions. Sans parler de la persistance perverse de l'exclusion des Tunisiens de la Tunisie profonde et de l'insécurité ambiante flagrante. En un mot, la classe politique semble loin de prendre le taureau par les cornes et parer aux exigeantes attentes économiques et sociales du commun des Tunisiens. Elle n'en finit pas de s'adonner à des manœuvres de politique politicienne. Témoin, le projet de la nouvelle Constitution qui fait du surplace depuis bientôt deux ans, alors que la Constituante devait s'en acquitter en une seule année. Dans ce contexte, les événements d'Egypte ont enflammé les imaginations. Ils ont résolu certaines parties politiques et civiles à demander la dissolution pure et simple de l'Assemblée constituante accusée de velléités dictatoriales. Les pouvoirs qui en procèdent — les trois présidences — sont, eux aussi, remis en cause. En effet, pour maints observateurs, en lieu et place d'une Constitution démocratique, la Constituante nous achemine tout de go vers une dictature d'Assemblée. On en réclame tout bonnement le remplacement par des pouvoirs nouveaux, sous forme d'un gouvernement de salut national notamment. La convergence des critiques et des propositions dans ce sens a ébranlé les tenants du pouvoir. Ils sont tout à coup sortis de leur léthargie. Et redoublent de manifestations, menaces à peine voilées, mises au point fracassantes et annonces à l'emporte-pièce. Il en est résulté des déclarations incendiaires, à l'instar de celles de Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d'Ennahdha à l'Assemblée. Haranguant un parterre de fidèles en pleine rue, il a agité le spectre de la mort violente à ceux qui s'aviseraient de remettre en cause la légalité chez nous. Les autres composantes de la Troïka ne sont pas en reste. La légalité est réitérée à longueur de journée comme un leitmotiv. Les critiques les plus anodines sont devenues suspectes et malavisées aux yeux des gouvernants et de leurs séides. Bref, c'est la panique. Et cela résume la fragilité voire l'inconsistance de la classe politique aux commandes de l'Etat. Précisément !