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«Pour tuer, les groupes extrémistes s'autorisent toutes les alliances...» Entretien avec Khaled Mejri, assistant à la faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis
Auteur d'une étude récente sur «L'assassinat politique dans l'Islam», Khaled Mejri nous aide à remonter la lignée et à dresser la typologie des assassinats de Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd... Visiblement commis au nom de l'Islam radical et par la voie du takfir, les nouveaux attentats du siècle sont rangés dans la littérature générale du terrorisme international. Est-ce qu'ils sortent, pour autant, de la catégorie de l'assassinat politique classique pour s'inscrire dans une autre lignée ? Il s'agit, bien au contraire, d'une catégorie ancestrale de l'assassinat politique. Tous les crimes commis dans l'histoire contemporaine et de nos jours au nom de l'islamisme extrémiste, du salafisme radical et du jihadisme ont une parenté commune qui remonte aux origines de la fondation de l'Etat musulman et de la grande discorde. Ils s'inscrivent dans la lignée des assassinats des Khawarej qui consiste à liquider tous les Califes en usant de la solution religieuse qui est le «takfir». Mais le takfir est en réalité intimement lié à l'assassinat politique; son mobile est éminemment politique. L'élimination des Califes a pour finalité de libérer le trône et de le confier aux «plus méritants». Il est au cœur de la lutte pour le pouvoir. La deuxième lignée est celle des Chïites, et précisément les Ismaélites Hachachines dont le nom est à l'origine du mot assassins. On pensait a priori que les historiens allaient passer sous silence la question de l'assassinat dans l'Islam étant donné son caractère tabou. Le Coran interdit catégoriquement l'assassinat comme tactique de guerre. Mais la vérité est qu'ils ont beaucoup puisé dans ces évènements, et qu'en dépit des doutes sur la crédibilité idéologique de certaines lectures et certaines versions, il existe une grande unanimité des historiens autour des grandes affaires. Les divergences, si elles persistent, concernent la méthode de l'assassinat et l'identification des commanditaires. La question de l'assassinat politique dans l'Islam est donc généreusement consignée dans les ouvrages et les grandes références historiques, les biographies, les œuvres littéraires et religieuses, et particulièrement les publications spécialisées comme les chroniques et les annuaires des morts et des assassinats des grandes personnalités. Les attentats au nom de l'islamisme radical sont habituellement commis après l'émission d'une fatwa et immédiatement réclamés par leurs auteurs. Pourquoi les meurtres de Mohamed Brahmi et Chokri Belaïd, qui s'inscrivent visiblement dans cette catégorie, n'ont-ils pas été revendiqués ? Contrairement à ce que l'on pense, les attentats religieux ne sont pas systématiquement revendiqués. Ils ont depuis leurs origines appartenu à deux catégories et relevé de deux tactiques différentes utilisées selon le poids et la force du moment des groupes impliqués. Il y a l'assassinat stratégique ; il est utilisé comme tactique de guerre pour gagner des positions ou recruter et mobiliser d'autres groupes. Ce type d'assassinat n'est pas réclamé. Il y a d'un autre côté l'assassinat terroriste utilisé à des fins politiques. Naturellement, sa revendication constitue l'une de ses conditions essentielles. Par ailleurs, il n'y a pas un modus operandi unique et inchangé. Tout change en fonction de la position du groupe et de son mobile. Chokri Belaïd était sur la liste des «mécréants à liquider» qui a fait le tour des mosquées. Ce n'est pas le cas pour Mohamed Brahmi qui, aussitôt après son assassinat, a été catégorisé par Rached Ghannouchi comme «bon musulman» (comme si les non musulmans était bons à tuer). Quelle solution autre que le takfir aurait autorisé son assassinat ? C'est toujours le takfir qui sert de solution. Le takfir est la seule solution invoquée par les groupes extrémistes. Mais tout au long de l'histoire, le takfir a toujours été une notion très lâche, une espèce de fourre-tout. Elle ne se contente pas de cibler les « mécréants » ou les «athées» comme on dit, mais englobe tous ceux qui «ne partagent pas la foi du groupe» et non la religion musulmane. Les groupes extrémistes ont cette conviction absolue et tyrannique qui dit : «Seule notre faction bénéficie du salut, et toutes les autres sont dans la déroute !...» Les spécialistes des groupes salafistes jihadistes évoquent l'extrême «fragilité» de ces groupes, leur perméabilité aux infiltrations et leur prédisposition aux alliances les plus contre nature. Est-ce que l'histoire le prouve ? En fait, ils s'apprêtent idéologiquement et structurellement à être infiltrés. Leur histoire prouve qu'ils réalisent toujours leur propre mobile en même temps que les objectifs de leurs alliés du moment. A la chute de Grenade, ils ont été infiltrés et instrumentalisés par les rois dans une lutte intestine. Ils ont également été utilisés sous la dynastie abbasside et dans l'empire ottoman pour anéantir l'ennemi. En conséquence, toutes les alliances sont autorisées pour eux du moment que leur objectif croise celui de l'allié. A quoi ressemblent les alliances contemporaines et modernes des groupes extrémistes ? Avec qui se seraient alliés les assassins de Brahmi et Belaïd ? Dans l'histoire contemporaine, les groupes extrémistes sont utilisés par tous et un peu partout dans le monde (Etats, services de renseignement...). Cette situation est héritée de la naissance même du wahhabisme qui, par le biais du Pacte de Najd, a consacré l'alliance des wahhabites avec la famille Al Saoud et avec le royaume britannique. Les groupes extrémistes sont mus par un principe fondamental qui décrète sans ambiguïté : « Adharourat toubihou al mahdhourat » « Les obligations autorisent les interdits ». Avec ce principe, ils se sont autorisé dans le passé et dans le présent les alliances avec les pires ennemis et même avec ceux qui ne partagent pas leur foi... A partir de là, toutes les portes et toutes les possibilités restent ouvertes...