Décidément, on n'est pas sorti de l'auberge. Les positions affichées hier par divers protagonistes de la scène politique n'augurent rien de bon. C'est encore et toujours le dialogue de sourds, malgré de vagues impressions d'ouverture. Le pouvoir en place persiste et signe dans son immobilisme. L'opposition et des pans de la société civile campent le maximalisme. Entre les deux, la masse perdue des Tunisiens abîmés dans les conjectures et l'expectative. L'été est mal parti et il risque de mal finir. Les tueurs de feu Mohamed Brahmi ont réussi à frapper là où ça fait le plus mal. Tel des automates sourds et muets, les protagonistes de la place ont joué son jeu. La crise gronde, la levée de boucliers est générale. Plusieurs villes et parties de la Tunisie profonde en subissent les contrecoups pervers. Pourtant, l'enveloppe politique végète toujours. Parce qu'elle est en partie morte. En tout cas, sa légitimité est profondément ébranlée. N'empêche. Les propos des hauts responsables hier brouillent les pistes. En lieu et place de la continuité dans le changement, on nous sert le non changement dans la continuité en quelque sorte. La persistance de l'immobilisme. Finalement, nous sommes en manque d'une grande idée, d'un grand dessein. Coupables de ne pas voir assez grand dans l'immensité du possible. Et de privilégier les enjeux viciés, sectaires, réductionnistes. La partitocratie est de mise. Les féodalités politiques n'en finissent pas de faire subir au pays leurs navrantes segmentations tribales. Les institutions sont suspendues au bon vouloir de petits chefs portés à voir par le petit trou de la serrure. Ils voient tellement petit qu'ils n'arrivent plus à voir la bannière nationale. C'est un fait. Ils sont désormais en bousculade devant les bannières partisanes, si peu autour de la patrie. Les grands desseins de la Révolution s'évanouissent devant les morcellements politicards. Ce qu'il faut pour en ressortir ? Brecht suggérait quelque part de dissoudre le peuple. Poussons la dérision dans des dimensions plus réalistes : faudrait-il dissoudre la classe politique ? On en est à se poser des questions qui frisent le fantastique. L'hyperréalisme politique enfante, lui aussi à l'instar de la politique, des monstruosités comiques. Résumons : pour l'équipe nationale de football, on n'hésite guère à recourir à des entraîneurs étrangers. Idem en matière d'expertise économique ou de gros œuvre. En politique, se résoudrait-on d'aventure à rechercher quelque patron d'écurie gouvernementale d'ailleurs tant que nous y sommes ? C'est inconcevable, bien évidemment. Mais qu'en est-il de la sortie de crise ? Les partis et leurs chefs ont montré leurs limites. Ils s'étripent volontiers, se chamaillent intra et extramuros. Les organisations nationales viennent à la rescousse, avec quelques autres relais de la société civile. Mais leur apport en la matière est par vocation et essence collatéral pour ainsi dire. Aujourd'hui, le non-dit de cette profonde crise consiste dans son coût économique et social faramineux, en plus des effets politiques pervers. Il est bien établi que la crise politique sous nos cieux aggrave le marasme économique. De sorte que, tant que l'instabilité politique perdure, tant que les investissements locaux et étrangers se font rares, la production stagne et les exportations se réduisent comme peau de chagrin. Et c'est là une autre paire de manches. En tout cas, dans leurs manigances politico-politiciennes, nos petits chefs s'en soucient comme d'une guigne. C'est le dernier de leurs soucis. Et puis, au bout du compte, les petits chefs ont-ils des soucis ?