Par Abdelhamid GMATI Le danger le plus grave qui guette la Tunisie est incontestablement ce clivage qui ne cesse de s'accentuer et qui menace l'unité nationale. L'une des forces clés de la Révolution, à savoir la solidarité, l'union des Tunisiens, risque de s'effilocher. Dès 2011 (il y a plus de 20 mois), un discours est apparu classant les Tunisiens en musulmans et en mécréants, laïques, suppôts de l'Occident, etc. Puis cela s'est accentué, en légitimes et ennemis de la Révolution, comploteurs, etc. Dans son dernier discours, alors que tout le pays attendait des décisions désamorçant la crise devenue aiguë et annonçant une voie passante acceptée par tous, le Premier ministre s'est montré autiste, sourd à ce qui se passe dans le pays, sûr de sa légitimité, dénonçant et menaçant les «comploteurs». Un discours décevant, ne s'adressant qu'à ses partisans et dénoncé par toute la classe politique. Mieux, M. Laârayedh a cru de bon aloi de tranquilliser la population en fixant la date des prochaines élections au 17 décembre prochain. Le peuple ne vit-il que pour ces élections ? N'a-t-il pas d'autres revendications autrement plus urgentes et plus importantes. La date choisie (le 17 décembre, Bouazizi s'immolait à Sidi Bouzid, lieu de la plus grande contestation actuellement) est déjà démagogique et populiste. De plus, un membre de la prochaine Isie qui aura la charge d'organiser les prochaines élections a estimé que «la tenue des élections en décembre est impossible». Bref, des propos partisans renforçant le clivage. Et ce clivage se retrouve au sein même des partis de la Troïka qui nous gouverne et certains de l'opposition. Certains islamistes sont prêts à une alliance avec les autres partis (ceux de l'opposition) en tenant compte des réalités du pays, et d'autres tiennent dur comme fer à leur idéologie, tiennent à la logique des élections avec un agenda autoritaire, pensent que la société doit être ramenée dans le droit chemin, c'est-à-dire la charia et le wahhabisme, et sont persuadés être les seuls détenteurs de la réalité. Les autres partis vivent aussi des crises et des divergences entre ceux qui veulent tout ou rien et ceux qui sont prêts à des compromis pour mieux sauvegarder leurs intérêts. Quoiqu'il en soit, on ne peut que déplorer les propos incendiaires de certains ministres, députés et responsables et de certains prédicateurs et imams qui continuent les invectives, les accusations, les insultes et à appeler à la violence. En fait que veut le peuple ? Les dizaines de milliers de manifestants (ignorés délibérément par le Premier ministre) qui occupent la place du Bardo et plusieurs villes de l'intérieur depuis près d'une semaine, expriment leur rejet total de la violence et du terrorisme et exigent que ceux qui ont échoué et mené le pays dans cet état de crise, quittent le pouvoir et laissent la place à des compétences capables de redresser la situation et de terminer cette transition dans les meilleurs délais et conditions. C'est aussi ce que demandent des dizaines de députés ayant gelé leurs activités et se mettant aussi en sit-in. Le bon peuple en a ras-le-bol que l'on ignore ses revendications socioéconomiques, objectifs essentiels de la Révolution. Personne n'évoque la situation économique et sociale du pays qui frôle la ligne rouge. On nous dit que l'Etat risque de ne plus pouvoir payer les salaires de ses employés si la situation perdure. Les horribles événements au Chaâmbi, dont ont été victimes nos jeunes militaires, ont semble-t-il mis un peu de plomb dans certaines têtes de ceux qui ont pouvoir de décision. M. Lâarayedh et les partis de la Troïka se sont ralliés à la constitution d'un gouvernement d'union nationale. Mais pour l'opposition, cela revient à une arnaque : la Troïka veut élargir l'équipe en y accueillant des représentants d'autres partis mais reste au pouvoir et maintient son pouvoir de décision. Ce qui est proposé par les autres partis et par les organisations nationales (Utica et Ugtt notamment), c'est une équipe restreinte composée de personnalités indépendantes, ne se présentant pas aux élections, et aura la charge de mener cette phase de transition avec élections et constitution) dans les meilleures conditions et délais. On n'est donc pas sorti de l'auberge. Pourtant l'Islam politique a montré ses limites. Tout simplement parce que les dogmes, qu'ils soient religieux, islamistes, idéologiques et socioéconomiques, ne peuvent s'arranger de la démocratie qui est basée sur une perpétuelle remise en question et sur l'alternance. Cependant, tout ce beau monde parle d'union nationale, de réunir les forces, de mettre la main dans la main, pour faire face à la violence, au terrorisme et sauver le pays. Soit. Alors que tout ce beau monde arrête de s'invectiver, de s'insulter, de s'exclure. Il ne faut plus user de ce «nous et vous». Et arrêtons de chercher des mains étrangères, tout dépend de nous. Et pour être ensemble, réellement et profondément (et non par opportunisme) il faudrait pratiquer la Realpolitik, c'est-à-dire regarder les réalités du pays, rechercher le possible, au détriment des doctrines et des dogmes et prendre les décisions qui répondent le mieux aux revendications et à l'acceptation populaires.