Face à des terroristes bien organisés et jusqu'ici intraitables, l'énigme est de plus en plus insondable... et frappe à la porte de la résignation. L'Occident viendra-t-il à la rescousse, en sauveur ? Trois mois après le déclenchement de la bataille de Jebel Chaâmbi, on est loin d'être sorti de l'auberge, et l'ombre du bout du tunnel ne fait que s'éloigner. Un constat d'échec des plus amers, qui frise à la fois la fatalité et la résignation. Dire le contraire (dixit le dernier discours de Ali Laârayedh), mieux vaut en rire, quand on sait qu'on ne compte plus aujourd'hui les revers dans cette incroyable lutte contre le terrorisme. Ce qui est encore plus grave, c'est cette extraordinaire capacité de résistance des jihadistes qui leur a permis non seulement de protéger leurs arrières et de prolonger leur invincibilité, mais aussi (et surtout) de repartir à l'offensive, chaque fois que le moment s'y prête. Au point qu'ils ont trouvé le moyen, au terme de leur dernière fulgurante sortie, de lyncher leurs victimes après les avoir abattues ! Et dire qu'ils savaient pertinemment qu'une minute de trop après le forfait pourrait leur coûter cher dans une zone totalement militarisée et aux pistes grouillant de soldats. Tout cela pour dire deux choses. D'abord, il ne fait plus de doute que les terroristes restent, matériellement, capables de varier leurs ripostes et d'imposer l'effet surprise. Loin d'être des... imbéciles, comme certains le pensent naïvement, ils ont acquis, depuis la sanglante ère Ben Laden des années 90, de redoutables méthodes d'action qui tirent leur force d'un judicieux équilibre attaque-défense. Ayant — dans leur majorité — fait leurs... études dans les camps d'entraînement qui pullulaient en Afghanistan et que dirigeaient des... ingénieurs et experts intégristes en fabrication d'explosifs parmi l'élite d'Al-Qaïda, ils ont, plus tard, fait le dur apprentissage du jihad en Afghanistan, avant de gagner d'autres fronts (Irak, Tchétchénie, Somalie, Yémen, Soudan, Syrie, Mali, Nigeria, Libye). Les voilà maintenant atterris dans nos murs. Curieusement, ils ont fait mouche dans tous ces fronts, en faisant subir à leurs ennemis de lourdes pertes en hommes. Les Américains (surtout eux) en ont fait l'amère expérience, en dépit de leur terrifiante puissance de feu, de leurs engins des plus sophistiqués et du travail de sape colossal de la CIA. Exemples saillants Les exemples abondent qui donnent une parfaite illustration de la persistance des menaces de la nébuleuse intégriste de par le monde. Début juillet, un convoi militaire est pulvérisé en Algérie par un guet-apens jihadiste. Bilan : 7 tués. Dimanche dernier, Al Qaïda fait exploser simultanément 12 voitures piégées qui ont fait 53 morts. 24 heures plus tôt, le Nigeria s'offre, à son tour, sa part du gâteau, lorsque des islamistes radicaux du groupuscule Boko Haram abattirent 20 soldats et en bléssèrent une dizaine. Les trois drames se distinguent par une similitude troublante : les terroristes ont frappé là où leurs victimes ne s'y attendaient pas. Au Mali, l'audace des acolytes d'Al-Qaïda est telle qu'ils ont réussi, l'année dernière, à occuper tout le nord du pays, avant d'en être délogés six mois plus tard par une coalition africaine conduite par la France. Menaces potentielles à ne pas négliger Autant dire que les terroristes, fortement imprégnés de leur idéologie sanguinaire, sont convaincus que, dans leur lutte, on ne se fait pas de cadeaux, on ne pardonne pas, si asphyxiant soit l'étau qu'on resserre autour d'eux. De surcroît, les pertes humaines qu'ils subissent et les déroutes essuyées ne les ébranlent pas outre mesure. Passés maîtres dans l'art de jouer à cache-cache avec l'ennemi, ils sont dotés d'une «impensable» capacité d'endurance qui leur permet de supporter tous les sièges qu'on leur impose. Et cela en transformant leur cachette en champ miné, tout en s'employant à... creuser des tunnels dans leur retraite pour assurer, en cas de détresse, leur fuite. Les archives d'Al-Qaïda ont également révélé que ses hommes embusqués dans une montagne, une fois menacés, peuvent trouver soulagement ailleurs auprès des leurs, par opérations de minage et attentats à la voiture piégée interposés. Autant de stratagèmes diaboliques synonymes de menaces potentielles qui planent encore sur le mont Chaâmbi où «mine» de rien, les terroristes sont déjà à leur troisième mois d'invincibilité. Pas vraiment surprenant, en réalité, quand on sait que le camp d'en face, tel un homme immobilisé sur sa chaise roulante, n'arrive toujours pas à les avoir. Et c'est bizarre! D'autant plus bizarre que l'ennemi est localisé depuis belle lurette, que toutes les forces de l'armée et de la police ont été lancées dans la bataille, et que des engins et équipements de détection ultramodernes et importés d'Occident ont été mobilisés, sans compter le renforcement de l'action de lutte commune avec le voisin algérien. Il n'y a donc pas photo: le combat piétine quelque part, et le discrédit est jeté sur la gestion de cette lutte qui nourrit, de plus en plus, le fantasme d'une spirale à l'issue incertaine et, ayons le courage de le dire, aux sombres perspectives. C'est que le traumatisme de l'échec né du drame de lundi dernier incite franchement au pessimisme. Au point de craindre que le pire est à venir. Certes, il est hyper important de se garder de toute tendance à l'autoflagellation et au découragement au sein de nos forces de sécurité et de l'armée dont il faut saluer la bravoure et les sacrifices. Mais, pas question de se retrancher derrière les échappatoires ou de s'évertuer à faire éternellement l'innocent. Le message est adressé au gouvernement déjà vertement critiqué, pour ne pas en avoir fait assez pour progresser sur le chemin de la lutte contre le terrorisme. Et pour espérer réanimer un pouvoir au bord du coma, ne faudrait-il pas se résoudre à solliciter l'aide étrangère ? «Recourir au soutien de l'Occident est, à mon sens, la seule voix passante vers la délivrance», soutient Ahmed Salhi, professeur en sciences politiques, qui n'hésite pas à lancer ce missile : «La gestion de ce dossier très sensible, souligne-t-il, doit dépasser l'événementiel et le circonstanciel pour s'inscrire dans la durée, s'agissant d'un ennemi qui reste, à tout moment, capable de transférer le combat dans les rues». Le leader chinois Deng Xiaoping n'a-t-il pas dit: «Qu'importe si le chat est blanc ou noir, pourvu qu'il attrape la souris» ?