En 2013, la direction générale de l'enfance a repéré quelque 702 jardins d'enfants non conformes aux normes. Ils seront sans doute plus de 180 mille chérubins à rejoindre, cette année, les quelque 4.005 jardins d'enfants. Ces bouts de chou, âgés de 3 et 4 ans, ne bénéficieront pas tous d'une bonne qualité de prestations. L'année dernière, la direction générale de l'enfance, relevant du ministère des Affaires de la femme et de la famille, a réussi à repérer quelque 702 jardins d'enfants anarchiques car non conformes aux critères établis : négligence du cahier des charges, irrespect du programme pédagogique, recrutement d'un cadre d'animation non formé ainsi que l'instauration d'une nouvelle approche «éducative» fondée sur le dogmatisme religieux, autant d'anomalies rongent ce domaine au détriment de l'éducation et de l'équilibre psycho-affectif des enfants. Une lutte acharnée contre ce phénomène a été entamée en 2013, rappelant les responsables des jardins d'enfants à l'ordre ou —à défaut— les enjoignant à fermer leurs établissements. Il faut dire que l'émergence des jardins d'enfants anarchiques ou encore non conformes aux normes ne date pas d'hier. Mais la situation avait pris, en 2012, un tournant préoccupant. Plusieurs associations à caractère islamique pour la plupart se sont proposées pour assurer des services d'ordre préscolaire. «Ces associations, dont l'association "Ikra" ou l'association "Al Bayène", ne sont pas pour autant habilitées pour une pareille mission et n'ont pas une autorisation nécessaire à cet effet. Encore faut-il souligner qu'il est impératif pour un jardin d'enfants de respecter le programme pédagogique préétabli par la direction générale de l'enfance. Or, ces pseudo-jardins d'enfants n'ont ni l'autorisation qu'il faut ni un cahier des charges et encore moins un programme pédagogique auquel ils se conforment», indique Mme Fawzia Jabeur, directrice générale de l'enfance. Partant de ce fait, et grâce à la collaboration avec les gouverneurs, un grand travail a été mené en mai/juin 2013 pour repérer les établissements réfractaires, à la suite duquel 702 espaces de prime enfance ont été cernés et jugés comme étant non conformes aux normes. 170 décisions de fermeture Le ministère a donc décidé la fermeture de 170 jardins d'enfants dont 111 implantés à Tunis, 35 à La Manouba, 13 à Ben Arous, un jardin d'enfants à Bizerte, un autre à Monastir et 9 jardins d'enfants à Sousse. «Il est, toutefois, difficile de cerner les jardins d'enfants dits coraniques. Les statistiques relatives à ce volet changent en permanence. Certains jardins d'enfants ont volontairement fermé leurs portes alors que d'autres émergent à un rythme imprévisible», fait remarquer la responsable. Mieux encore : le ministère a même reçu une proposition pour harmoniser le programme pédagogique avec un programme spécifique à caractère islamique! Une suggestion qui est en phase d'examen... «Le programme pédagogique n'est pourtant en rien laïque. Les jardins d'enfants initient les enfants aux principes de l'Islam, à la récitation du Coran, aux règles de bienséance ainsi qu'aux valeurs sûres. En revanche, bon nombre de jardins d'enfants coraniques privent les chérubins de leur droit à l'épanouissement et des besoins élémentaires à leur développement comme le sport et les activités ludiques. Pour les responsables desdits espaces, la prière, par exemple, remplace le sport, ce qui n'est évidemment pas le cas», explique M. Hedi Riahi, directeur de la promotion de l'animation éducative et sociale. Par ailleurs, et en ce qui concerne le respect des normes prescrites dans le cahier des charges, il est à souligner que la majorité écrasante des réclamations avancées par les parents portent sur les défaillances relatives à la qualité des prestations et ne dénoncent point l'intrusion d'un programme dogmatique dans le cursus préscolaire. De toute évidence, les actions de contrôle menées par le ministère en collaboration avec les gouverneurs ont fini par inciter certains directeurs de jardins d'enfants à se rattraper et à se conformer, désormais, aux recommandations signifiées par les parties officielles. D'autres ont tout bonnement fermé leurs établissements. Cela dit, nombreux sont les établissements réfractaires qui seraient prochainement fermés sur décision des parties concernées. Les prémices d'une réforme Aussi, la direction générale de l'enfance continuera-t-elle d'assainir ce domaine, indicateurs et réclamations à l'appui. Parallèlement, une panoplie de mesures réformatrices serait mise en œuvre pour combler les lacunes et permettre à l'enfance de s'épanouir dans un climat éducatif sain et réglementé autant que possible. Pour ce, des actions de sensibilisation destinées aussi bien aux cadres de l'enfance qu'aux parents sont planifiées; des actions qui comptent des spots télévisés ainsi qu'une assistance régulière, assurée tant par les conseillers pédagogiques que par les inspecteurs. «Cette année, nous allons renforcer le cadre des conseillers pédagogiques qui seront au nombre de 300 alors qu'ils n'étaient qu'une centaine de spécialistes; soit un conseiller pédagogique pour une vingtaine d'établissements préscolaires. Nous allons également recruter trente inspecteurs spécialisés dans le domaine de l'enfance, soit 66 inspecteurs en tout», indique M. Riahi. Il est à rappeler que les inspecteurs et les conseillers pédagogiques contribuent de par leurs compétences à orienter les animateurs vers les méthodes pédagogiques appropriées; un apport précieux surtout pour les 5.612 animateurs exerçants et non qualifiés (le nombre total des animateurs pour l'enfance étant de 11.055). Le directeur de la promotion de l'animation éducative et sociale indique, également, que de nouveaux guides pédagogiques sont en cours d'élaboration. Enseignement préscolaire et égalité des chances Outre les mesures à court terme, la direction générale de l'enfance envisage de mettre en œuvre des projets réformateurs dont les résultats seront palpables à moyen et à long termes. Il s'agit, d'abord, de remédier aux défaillances flagrantes de la couverture régionale en matière d'enseignement préscolaire. Les indicateurs relatifs à l'année scolaire 2012/ 2013 montrent, en effet, une grande disparité interrégionale en nombre d'enfants inscrits dans les jardins d'enfants. Les gouvernorats de Kasserine, Sidi Bouzid, Le Kef, Siliana, Jendouba et Kairouan représentent en fait les taux d'inscription les plus bas. «Ce problème a été soulevé en avril 2013, lors d'un CMR. Nous avons suggéré la prise en charge par l'Etat des jardins d'enfants situés dans les régions défavorisées et de permettre ainsi à pas moins de 1.300 enfants issus de familles nécessiteuses de bénéficier de leur plein droit à l'enseignement préscolaire. Ce projet serait réalisable grâce à la collaboration de l'Unicef et de l'Union européenne», indique Mme Jabeur. D'un autre côté, les manches se retroussent dans le but de réasseoir une tradition éducative qui porte bien ses fruits : le ministère projette, en collaboration avec le ministère de l'Intérieur et le ministère des Finances, de redonner vie aux jardins d'enfants municipaux. Ces derniers ne comptent plus que 47 espaces alors qu'ils étaient 273 en 2001. L'objectif pour l'année 2014 est de hisser leur nombre à 60. «Les municipalités peuvent gérer seules ces espaces ou bénéficier de l'appui du ministère», ajoute Mme Jabeur.