Dès les premières scènes, le héros est évoqué au passé selon une chronologie linéaire Au fil des images du documentaire Le martyr heureux s'égrènent mollement des témoignages sur le parcours de Chokri Belaïd, militant de gauche lâchement assassiné il y a plus de sept mois : l'enfance, la jeunesse, les années de militantisme à la faculté, le mariage avec Besma Belaïd, la période post-révolutionnaire... Dès les premières scènes, le héros est évoqué au passé selon une chronologie linéaire,floue et sans surprise, notamment au plan de la forme. Notre héros demeure absent, il ne renaît pas, ne revit pas à travers les images et les témoignages, parce qu'il n'est pas mis en action afin qu'émergent clairement son itinéraire de militant, ses qualités humaines d'homme politique ou d'homme tout court si téméraire, courageux et altruiste. Où est passé l'orateur charismatique ? Où sont passées les idées et les valeurs qu'il prône, entre défense des droits humains, tolérance, démocratie, lutte contre la violence et la tyranie ? Or, on le sait, c'est surtout l'apport des archives et des documents filmés, photographiques ou autres qui contribuent à insuffler une âme au personnage et à le rendre vivant. «Hay, Chokri hay» est ce slogan qui en dit si long, l'homme est mort , mais ses idées demeurent. Toutefois, le réalisateur a fait, on dirait, le choix de limiter les témoignages au cercle de la petite famille et de la grande famille (le parti El Watad et les camarades militants) du personnage central. Car comment expliquer que le témoignage sur Chokri Belaïd, le défenseur à titre gracieux du pauvre et de l'orphelin, ne soit pas directement recueilli auprès de ceux qu'il a défendus pour des affaires de droit commun ou de ceux qu'il a défendus pour des affaires politiques dans les régions minières du Sud. Le réalisateur s'est limité aux témoignages des proches et des camarades. Idem concernant les «Soufis» venus présenter leurs condoléances à la famille du martyr. Eux n'ont pas témoigné, le frère du défunt s'en est chargé. Besma Khalfaoui, la veuve vaillante et digne que tous les Tunisiens ont admirée pour sa force de caractère et sa grinta nous est apparue telle une pleureuse éplorée. On s'y perd vraiment Plus, le contexte historique de l'itinéraire de la gauche n'est pas clairement situé, les faits et événements non plus, car, on ne sait pas qui est qui et qui fait quoi, d'ailleurs ne fallait-il pas focaliser notamment sur le parcours post-révolutionnaire du militant afin d'alléger le propos et de s'en tenir à un seul segment du parcours du martyr, celui post-révolutionnaire : montrer quand et comment il a commencé à se positionner, à prendre de l'importance et à séduire les Tunisiens. Qui l'a assassiné ? Pourquoi ? Comment ? Où en est l'enquête ? Silence radio. Le film n'en parle pas même de manière allusive. Ainsi, sans commentaire, sans pratiquement de documents d'archives, sans le nom et la qualité de chaque intervenant. Le film n'étant pas totalement achevé, on s'y perd vraiment surtout si le spectateur n'a aucune idée sur Chokri Belaïd ou s'il est étranger. Habib Mestiri a raison, son film n'est pas terminé parce que pour le moment il s'agit d'une enfilade de témoignages au montage pas du tout réfléchi où des plans de coupe inappropriée distillent la vacuité. Ne parlons pas de charge émotionnelle, le film n'en véhicule pas. Revisiter le film tant qu'il est encore en chantier, le rendre plus vivant en recourant aux documents et aux archives afin d' ancrer les propos en apportant des preuves, gommer les détails et les témoignages parachutés, reprendre le montage en lui donnant du sens, faire les sous-titrages serait vraiment salvateur pour le film. Cela afin que Chokri ne soit pas le grand absent de ce documentaire, mais bel et bien vivant cinématographiquement.