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«Les islamistes ont scié la branche sur laquelle ils sont assis»
Hamadi Redissi, politologue
Publié dans La Presse de Tunisie le 23 - 10 - 2013

«Face à un acteur politique aussi irrationnel, toute prospection devient un exercice périlleux», avertit ce professionnel de l'analyse avec son franc-parler habituel. Entretien.
Beaucoup n'hésitent plus à avouer que l'élection d'une Assemblée nationale constituante a été une «erreur historique »... Partagez-vous cet aveu et où réside précisément l'erreur ?
Je pense que l'élection de l'ANC est plus qu'une erreur. C'est une faute. Elle s'explique par le fait qu'au lendemain du 14 janvier, il y avait trois imaginaires «révolutionnaires» en compétition. L'imaginaire libéral, concept de 1789 avec pour mot d'ordre : on va prendre la Bastille. L'imaginaire bolchevique qui pense prendre la Douma d'Etat. Enfin l'imaginaire de 1979 ; celui de la révolution iranienne pétri à l'islamisme turque, dans un mélange disgracieux. En arrière-fond de ces trois imaginaires, il y avait la répétition du geste bourguibien à travers le projet d'une deuxième République. Résultat : on a coupé l'historicité de l'Etat, mais les élites post-14 janvier ont été incapables de fonder une deuxième République. Elles en ont raté la fondation. Ce sera une deuxième république bâclée.
Deux ans après le scrutin du 23 octobre 2011, nous n'avons pas de Constitution, pas de code électoral, pas d'instance des élections, ni de date pour un scrutin. Le processus constitutif peut-il encore s'en sortir et à quelles conditions ?
Quand nous sommes en face d'un acteur politique aussi irrationnel, nous, professionnels de l'analyse, nous nous trouvons incapables de scruter rationnellement l'horizon. Toute prospection devient un exercice périlleux. L'ANC a raté la fondation nationale. C'est une chambre avec un gagnant majoritaire et une composition éclatée incapable de prendre des décisions. Elle compte en partie des élites d'alternative sans autorité et sans maturité politique. Car c'est le populisme qui a présidé à cette assemblée. Elle a été conçue selon l'imaginaire de 1789 et c'est l'imaginaire de 1979 qui en profite. Celui de petits bourgeois de l'islamisme, obsédés par la question identitaire. Résultat : la quatrième version de la future Constitution ne vaut pas les deux premiers paragraphes de la Constitution de 1959. Et cela est notamment dû à la différence entre la valeur intellectuelle des élites de 59 et celles d'aujourd'hui.
Le gouvernement est dans l'impasse mais il poursuit la conquête de l'administration et entre dans une campagne électorale précoce. Devant l'esquive et les nouvelles réalités qu'il crée, quelles sont les perspectives du dialogue national ?
Visiblement, ce dialogue va dans l'impasse avant même de commencer. Tout le dispositif de l'impasse existe et à tous les niveaux ; ANC, gouvernement, dialogue et futures élections. C'est l'imbroglio. Pour la nième fois, Ennahdha se joue du dialogue comme s'il avait encore le vent en poupe, comme s'il était en terrain conquis. Or, il n'a aucune stratégie en vue. Les islamistes jouent le temps mais n'ont aucune stratégie, aucune perspective. Ils attendent qu'un miracle se produise...
Cette navigation à vue devrait profiter à l'opposition et pourtant...
Ennahdha ne peut plus rester au pouvoir. Mais l'opposition n'est toujours pas capable de le déloger... Cela me rappelle la définition de Lénine : «La révolution survient quand ceux qui sont au pouvoir ne veulent plus le quitter et ceux qui sont dans l'opposition sont incapables de les déloger. » La décision appartiendra alors à celui qui prendra l'initiative des hostilités politiques pures et dures. Le consensus étant devenu impossible. Ennahdha a certes fait des concessions, mais ce sont des concessions à caractère culturel sur la charia, l'égalité hommes-femmes... R. Ghannouchi les a présentées comme des concessions tactiques tenant compte des rapports de force. Or, le compromis est politique ou ne l'est pas, et les islamistes ont été incapables d'atteindre le compromis politique.
Avant le 23 octobre, l'entrée de l'islam politique dans le processus démocratique semblait « jouable ». Cette radicalisation du mouvement Ennahdha par rapport à ses promesses électorales était-elle prévisible ?
Pendant des années, des experts internationaux relayés par des experts locaux ont œuvré à convaincre les chancelleries occidentales. Et tous ensemble ont pensé que l'islam politique est capable de réussir deux coups en un : réconcilier l'islamisme et la démocratie et maîtriser le jihadisme qui deviendra une affaire domestique. Biaisé à l'avance, ce pari a évidemment été perdu. L'islam politique a montré que c'est un néo-autoritarisme non assumé et mâtiné de relents théocratiques ; n'eût été la résistance de la société civile tunisienne, il aurait déclenché un processus à l'iranienne. Les islamistes qui le mènent se sont révélés être des faussaires et des aventuriers au pouvoir qui mettent le pays en péril. Ils en ont perdu leur crédit moral. Les élections sont renvoyées sine die et ils en sont à faire du grand chantage : « Le pays peut s'effondrer, nous y sommes, nous y restons et si nous sommes renversés, c'est un coup d'Etat !...» Il ne faut pas oublier que le premier geste des islamistes au pouvoir a été de dissoudre l'Isie. Ils ont scié la branche sur laquelle ils sont assis. C'est une duplicité ontologique qui était prévisible pour nombre d'intellectuels. Mais leurs voix sont restées inaudibles dans le concert des chancelleries occidentales, des experts et des médias qui ont formaté les esprits au mépris des élites séculaires.
Ennahdha baisse dans les sondages, mais c'est le conservatisme religieux — et non les forces démocrates — qui monte dans la société. Comment cela va-t-il se refléter sur les futures élections ?
Ce qui s'est passé en Egypte est fort instructif : le conservatisme religieux ne se traduit pas forcément par un soutien massif aux partis islamistes. Il y a un seuil de tolérabilité de l'islamisation qui est la privatisation de la religion. La leçon égyptienne s'est déjà traduite en Tunisie. On est en plein dans la sécularisation. On est dans un Etat post-traditionnel où le conservatisme est une forme de privatisation de l'éthos religieux mais en aucun cas un chèque en blanc aux partis religieux. Quand on y ajoute la perte de l'aura morale d'Ennahdha, on comprend pourquoi ce parti a atteint le seuil le plus bas de sa popularité. Un Tunisien sur trois est conservateur. Ce potentiel trouvera toujours preneur auprès d'un parti d'inspiration religieuse véritablement converti à la démocratie. Qu'il sorte des entrailles d'Ennahdha ou qu'il déborde à sa gauche, il s'impose, sinon la démocratie n'a aucune chance. Tout comme s'impose l'interdiction des partis violents. Une démocratie ne peut pas vivre sous la menace et la hantise du jihadisme et être hypotéquée par les rapports de force, en attendant que les salafistes se calment.
Selon le pronostic de certains experts, les futures élections donneront lieu à de nouveaux équilibres des forces où Ennahdha recouvrira ses «dimensions électorales réelles» (entre 15 et 20%) à côté d'une majorité de libéraux... Cette prédiction vous semble-t-elle plausible ?
Encore faut-il qu'Ennahdha participe aux prochaines élections... on ne peut pas en être sûr. Il faudra attendre les résultats des enquêtes sur les meurtres et sur le terrorisme. En cas d'implication, ce parti devra être interdit.
Deux ans après de premières élections démocratiques, des Tunisiens ne cachent plus leur nostalgie à la dictature en ce qu'elle « procurait au moins ordre et sécurité »... Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il s'avère que les Tunisiens ne voulaient pas d'une révolution. Il y avait dans les mouvements de révolte deux demandes à l'œuvre : la demande des Sinistrés : égalité et justice sociale, et la demande des Libéraux : une demande politique de démocratie et de liberté. Historiquement, on pouvait très bien marier ces deux demandes mais c'est l'interférence de l'islam politique qui a brouillé les cartes. Il y a aussi un radicalisme de gauche qui a fonctionné avec une logique d'exclusion. L'élimination des destouriens a été une autre erreur historique. Dans les faits, ceux qui ont mené la révolte n'en ont pas profité et ceux qui en ont profité ont été incapables d'en réaliser les objectifs. Résultat : la transition a été incapable de faire la synthèse entre la liberté et la sécurité. Elle a donné lieu à un régime de désordre, d'outrance, d'excès, de nivellement par le bas. Un régime dépourvu d'autorité et qui a un côté décadent. C'est face à cette décadence que les Tunisiens sont nostalgiques à la sécurité.
Aujourd'hui, des Tunisiens sortent à nouveau manifester contre le prolongement indéfini de la «légitimité» et l'impasse dans laquelle se trouve le pays. Dans ce climat d'exaspération, la Rue a-t-elle encore son mot à dire ?
Le concept de «Rue arabe» a été construit comme un concept péjoratif sous les dictatures. Après le 14 janvier, il s'est avéré qu'elle est composée de jeunesses, de femmes, d'associations qui ont, depuis, joué un grand rôle à chaque fois qu'il y a eu un bras de fer entre les forces démocratiques et le pouvoir. A chaque fois, c'est la rue qui a tranché et le pouvoir a dû faire des concessions. Lors du sit-in du Bardo, Ennahdha a immédiatement décidé d'accélérer le processus. Même fatiguée, la rue a encore le moyen de faire la différence, à moins de considérer que la révolution est terminée et dans ce cas, c'est la raison de l'Etat qui primera. Mais si l'on reconnaît que les demandes de la révolution n'ont toujours pas de réponse, la rue va forcément avoir encore son mot à dire. La rue tunisienne a déjà donné la preuve qu'elle n'est pas une masse destructrice mais une force d'un grand civisme qui va effectivement faire pencher la balance du côté des forces démocratiques.
REPÈRES
*Hamadi Redissi est philosophe et universitaire. Professeur de sciences politiques, il a travaillé sur les racines et les dérives de l'islamisme. Parmi ses œuvres, «Le Pacte de Nadjd, ou comment l'islam sectaire est devenu l'islam» (Seuil, 2007) et «La Tragédie de l'islam moderne» (Seuil, 2011).


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