Par Abdelhamid GMATI Les Tunisiens sont en deuil et vont d'enterrement en enterrement, de chrysanthèmes en chrysanthèmes. Cette fleur est le symbole de l'éternité, c'est ce qui explique qu'on la dépose sur les cercueils. Trois jours de deuil national pour l'assassinat des gardes nationaux à Sidi Ali Ben Aoun faisaient suite à une journée de deuil pour les gardes nationaux victimes du terrorisme à Goubellat. De fait, depuis deux ans, les victimes du terrorisme et de la violence politiques se font nombreuses. En effet, les Tunisiens ont fait le deuil de leur sécurité. Depuis le 9 avril 2012, la violence politique, inconnue jusque-là, s'est installée et a prospéré jusqu'à être banalisée. On agresse les artistes, les journalistes, les opposants, les intellectuels, les femmes et on assassine les leaders politiques de l'opposition (Lotfi Naguedh, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi), les militaires, les gardes nationaux et les policiers. Les auteurs sont connus mais on les laisse faire, voire on les protège. Les forces de l'ordre sont tenues en laisse par des directives à connotation politique, mais elles bougent. Chaque jour on nous annonce des arrestations de salafistes, de jihadistes mais sitôt arrêtés, ils sont libérés par une justice qui semble aux ordres. Témoin : la récente arrestation d'un dirigeant salafiste bien connu qui fut rapidement relâché. Que fait-on contre ce fléau ? On se renvoie la balle. Alors que les hommes au pouvoir ont à maintes fois démontré et reconnu leur complaisance envers les groupes salafistes, jihadistes et autres LPR, il se trouve encore quelques-uns, comme l'inénarrable vice-présidente de l'ANC, la « Française d'origine tunisienne », qui estime que c'est « l'opposition qui est à l'origine du terrorisme ». En attendant, la violence et le terrorisme menacent toujours. Trois hommes « nikabés » et une étrangère, en situation suspecte, ont été arrêtés. Des salafistes, conduits semble-t-il par le fils du Premier ministre, ont agressé des étudiants à la faculté des Lettres de La Manouba. On estime à une dizaine les cellules terroristes dormantes aux alentours de la capitale. Les régions sont en ébullition et la population ne cesse de clamer son ras-le-bol et d'exiger le départ de la Troïka. Mais on a également fait son deuil de l'économie qui est au plus bas et de la situation sociale ponctuée de démissions en chaîne, et ce, dans plusieurs secteurs. Les forces de l'ordre, révoltées d'être prises pour cible, réagissent. D'abord en « dégageant » les trois présidents lors de la cérémonie à El Aouina. Puis par leur mobilisation. Significatif est, à cet égard, le communiqué publié vendredi à Sousse par le Syndicat national des forces de la sécurité intérieure qui précise ses décisions. A savoir (entre autres) : le soutien inconditionnel au peuple tunisien dans ses revendications et ses mouvements pacifiques; l'engagement à protéger le peuple tunisien du danger terroriste qui le guette; demande le remplacement sous 48 heures des directeurs généraux du ministère de l'Intérieur qui ont été nommés suivant leur allégeance au parti au pouvoir; création d'une cellule de crise indépendante qui gérera le dossier du terrorisme et qui travaillera indépendamment des directives du gouvernement; intenter un procès contre le chef du gouvernement et contre ceux que révélera l'enquête pour le meurtre, dernièrement, des agents de la Garde nationale et de la police; porter plainte contre le président des LPR pour menaces de mort à l'encontre des agents de l'ordre. Cela donne à réfléchir quant à cette position des forces de sécurité soucieuses d'être « républicaines » et non au service d'un gouvernement. D'aucuns vont jusqu'à affirmer qu'avec un autre gouvernement non partisan, la violence et le terrorisme seront rapidement éradiqués. Pendant ce temps, une petite lueur d'espoir : la Dialogue national a enfin commencé. Cela va-t-il tranquilliser les Tunisiens et les sortir de leurs deuils ? A la première séance, le dirigeant nahdhaoui Ameur Laârayedh, frère du chef du gouvernement, a quitté la salle car certains propos ne lui ont pas plu. Faut-il lui rappeler que dans un dialogue on doit écouter les opinions des autres même celles qui ne plaisent pas. Mauvais augure. De son côté, l'ex-Premier ministre Hamadi Jebali, renaissant de ses cendres, explique que le chef du gouvernement, Ali Laârayedh, n'a pas changé de position et que le gouvernement ne démissionnera que si l'autre processus inhérent à l'Assemblée nationale constituante aboutisse obligatoirement, comme il est stipulé dans la feuille de route, à la réalisation de ses quatre axes. Ce qui veut dire qu'on doit s'attendre à des obstructions soit lors des discussions des questions à l'ordre du jour, soit de la part de l'ANC, dominée par la Troïka. On n'est pas sorti de l'auberge. Le peuple, lui, réagit comme il peut. En hommage à l'officier de la Garde nationale Socrate Cherni, victime du terrorisme, deux mamans ont donné le nom de « Socrate » à leur nouveau-né. Une façon de dire « m...nous sommes tous des Socrate et on ne vous laissera pas détruire notre pays» aux terroristes et à leurs protecteurs.