Amel Moussa est tunisienne. Amel Moussa est poétesse tunisienne. Trois qualités sont déjà dans la même phrase‑: une femme, une compatriote et une créatrice de haut vol. Si la poésie est la pierre de touche qui nous permet de reconnaître la valeur de cette voix, cela veut dire alors que Amel Moussa est la Tunisie dans toute sa grandeur. Oui, il est vrai que nous croyons encore dans notre pays en la poésie, en la femme et en la parole d'une femme poète. Mahmoud Messadi, notre grand écrivain national, l'a dit et pensé avant nous dans sa préface à Femelle de l'eau, le premier recueil de Amel Moussa paru en 1996 aux éditions Cérès. Peut-être faut-il lire quelques vers de la poétesse dans une traduction qui tentera modestement de les transmettre et de les faire aimer : La féminité majeure en état d'ivresse Les femmes qui sur nous débordent Le Tigre, le Nil et l'Euphrate Nous prions alors sans pierre ni eau. Les femmes qui ont voyagé bien loin Et qui sont rentrées les mains vides. Les femmes dont la dot est blancheur parfaite comme la lame des conquérants. Les femmes qui meurent vierges Sans qu'on ne les croie. Les femmes dont la mer respecte la poitrine Si bien qu'elle prohibera de voler les précieux métaux et les pierres. Les femmes qui portent la même robe de mariage Pour le même mariage. Les femmes dans lesquelles la vieille dame honnête se mêle A la jeune pucelle désirée. Les femmes qui du dieu ont au visage l'empreinte Ce sont les poétesses La vérité s'est manifestée en elles extase La majeure féminité s'est enivrée Et la poésie a roulé ruisseaux d'eau. (Comme moi brillent les étoiles, Tunis, éd. Miskiliani, 2009, pp. 43-44) Sans doute la poésie et la poétique de Amel Moussa sont-elles bachelardiennes. Certes, la poétesse met Bachelard en exergue, mais son univers semble correspondre à la philosophie poétique de l'auteur de Les eaux et les rêves. Il s'agit, cela dit, d'une correspondance à la manière de Baudelaire, c'est-à-dire une série de sensations qui coïncident avec les intentions premières (donc les sens) éprouvées et mises en mots par la poétesse qui brille comme une étoile et se sent en même temps aussi liquide que la pluie, comme le suggère le titre de son dernier livre, Corps pluvieux, paru en Syrie en avril 2010, aux éditions Al Farkad, avec une préface du professeur et poète Wafik Suleiteen. Cette anthologie est réellement réussie, dans la mesure où Amel Moussa s'avère tout à la fois poétesse, femme et tunisienne: Femelle de l'eau Pourquoi l'eau nous vient-elle Elle court flamboyante de soif. Pourquoi l'eau M'emboîte-elle le pas Oubliant le cours des ruisseaux, Le point de chute de la pluie? Pourquoi est-ce que je ne tends pas le visage En direction des limites de l'eau? Je ne sais Comment elle nous a caché sa couleur, Ni comment nous lui avons fait perdre son parfum. Pourquoi ne puis-je pas devenir le secret de l'eau? Pourquoi ne puis-je pas devenir sa femelle Que je l'attende dans la jarre Jusqu'à l'avènement de l'été. (p. 18) Le lecteur arabophone constatera bien que l'eau, masculin en arabe et féminin en français, est la métaphore que la poétesse ne cesse de filer. L'eau et la pluie contre le désert et la sécheresse. La fertilité et l'amour contre les fanatismes. Oui, la féminité de Amel Moussa nous semble incarner cette lutte infinie contre toutes les formes de fanatismes, par des arguments vivants, à commencer par ceux que nous avons commencé par énumérer, la poésie, la femme et la Tunisie.