Les avocats de la partie civile envisagent la suspension de leur procuration si les conditions d'un procès équitable ne sont pas assurées Près de trois ans déjà, l'affaire des martyrs et des blessés de la révolution traîne encore en longueur, alors que les familles des victimes prennent leur mal en patience. Mais jusqu'à quand devront-elles le faire, dans l'amertume et la colère ? C'est pour la énième fois qu'elles voient un dossier censé être prioritaire faire l'objet de report et de retards injustifiés. Sauf que, aujourd'hui, il s'agit probablement du dernier délai imparti pour prononcer le verdict et dévoiler, définitivement, la vérité tant attendue. Chose qui n'est pas si sûre, aux dires des avocats de la défense, dès lors que l'administration de tutelle ne montre aucun intérêt à boucler ce dossier supposé bénéficier d'une priorité absolue. Face à la position que va prendre, cette fois-ci, la cour d'appel militaire, à laquelle revient le dernier mot, les avocats de la partie civile auront à trancher dans le vif. Soit cesser de défendre, soit continuer de le faire dans l'équité requise... Mais à condition que soit garanti un déroulement normal de l'audience. Cette décision a été annoncée par le comité des 25 avocats chargés de la défense des martyrs et blessés de la révolution du Grand-Tunis, lors d'une conférence de presse tenue, hier matin, au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt), soit un jour avant le dernier procès qui devrait avoir lieu aujourd'hui à la cour d'appel militaire de Tunis. Dans son intervention, Me Amor Safraoui, coordinateur dudit comité, a voulu commencer par lancer un cri d'alarme et de détresse, déplorant le désengagement constaté à l'égard du dossier des martyrs et blessés de la révolution. Pouvoir politique, partis, société civile : qui, parmi eux, aujourd'hui, accorde à ce dossier l'intérêt qu'il mérite ? L'avocat reproche à la présidence de la République, à l'Assemblée constituante et aux instances des droits de l'Homme de ne pas tenir leurs promesses, ou à les renvoyer aux calendes grecques, en faisant la sourde oreille. Sans mâcher ses mots, Me Safraoui a dénoncé les conditions défavorables dans lesquelles se déroulent les procès. « La salle d'audience est tellement étroite qu'elle ne peut accueillir toutes les familles des victimes. D'autant plus que le tribunal a refusé de la changer», a-t-il fait valoir à titre d'exemple. Ce qui expliquerait que l'affaire ne serait plus du ressort de la justice militaire, qu'elle demeure sous l'emprise de l'administration de tutelle. Autant dire, d'après lui, que cette ingérence politique a nourri les surenchères et l'instrumentalisation politique. Autre reproche que le conférencier a tenu à adresser à la justice militaire : « Le refus de reporter le procès de demain (aujourd'hui) pour nous donner suffisamment de temps afin de nous préparer et de traiter judicieusement le dossier, mais aussi sa précipitation inexplicable pour trancher à la hâte». Or, poursuit-il, «il est du droit des familles plaignantes de connaître la vérité, de sanctionner les coupables et de rendre justice aux justiciables». Cela exige, estime-t-il, que l'avocat prenne son temps pour élaborer convenablement sa plaidoirie. Pour conclure, il a annoncé la suspension de sa procuration jusqu'à ce que soient fournies les garanties d'un procès équitable. Sans trop s'attarder sur la question, Me Anouar Basti, porte-parole du comité de la défense, a relevé, de son côté, que cette conférence de presse s'inscrit dans la logique du dévoilement des vérités et qu'elle vise à réunir toutes les conditions de l'équité et de l'impartialité. Et d'ajouter que les procédures propres à un procès juste ne sauraient être assurées dans la précipitation, sous prétexte que la détention préventive des accusés a trop duré et qu'il faut les libérer le plus tôt possible. « Cela ne relève guère de la justice. Cela n'a rien à voir avec les droits des détenus», déclare-t-il, indiquant que le tribunal est souverain et qu'il doit faire preuve de responsabilité dans l'application de la loi et le respect des conditions du procès équitable. Faisant également membre dudit comité, Me Charfeddine Kellil n'y va pas par quatre chemins pour pointer du doigt plusieurs cadres sécuritaires et militaires soupçonnés d'être impliqués dans les coups de feu tirés sur les manifestants lors de la révolution. Sur sa lancée, il indique que la région du Grand-Tunis compte 43 martyrs, 96 blessés et 42 accusés, déplorant que la cour d'appel militaire ait prononcé des jugements qui sont loin de répondre aux attentes. «Notre déception est grande touchant en particulier trois affaires des martyrs, celle de Amine Grami, dont l'auteur impliqué est un militaire, de Adel Hanchi, ainsi que celle de Ahmed Ouerghi», précise-t-il. Me Kellil n'a pas manqué de dénoncer, en faisant part de son étonnement, le communiqué des syndicats des forces de l'ordre, rendu public la semaine dernière, dans lequel ces derniers ont revendiqué la libération de tous les agents de sécurité encore sous les verrous. Finalement, Mme Najet Yaâkoubi, membre du comité de défense, a pris aussi la parole pour dire que la suspension de la procuration serait décidée, au cas où la cour d'appel militaire ne répondrait pas aux réclamations formulées par les avocats de la défense. La conférence d'hier s'est déroulée en présence d'un certain nombre de familles des martyrs et blessés de la révolution, qui se sont déplacées pour protester contre les autorités de tutelle qui, selon elles, ne cessent de s'immiscer dans l'affaire en question. Elles ne cessaient de répéter : «Nous n'avons plus confiance dans la justice militaire».