À la rigueur de la science, Lorand Gaspar succombe aux charmes de la poésie pour scruter les lieux inexplorés, à savoir le corps humain et le corps poétique. Du 12 jusqu'au 14 novembre, le département de français de la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis a organisé, en collaboration avec l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, un colloque international autour du poète Lorand Gaspar. Ainsi, professeurs, chercheurs, critiques et écrivains ont voulu rendre hommage à ce poète hongrois francophone qui a choisi la Tunisie comme terre de la matière alchimique et poétique et comme sol de l'investigation scientifique, comme le prouve son expérience de plusieurs années à l'hôpital Charles Nicole de Tunis où il a exercé comme chirurgien. Poète, historien, traducteur, et féru de la photographie, étudiant la médecine qu'il exercera plus tard en Orient, principalement à Jérusalem et en Tunisie, Lorand Gaspar a choisi la langue française comme langue d'expression poétique. À la rigueur de la science, le chirurgien succombe aux charmes de la poésie et la traduction devient sa passion favorite. C'est ainsi que la double culture scientifique et littéraire manifeste une immense curiosité qui témoigne de son désir d'aller constamment vers l'Autre et de scruter les lieux inexplorés, à savoir le corps humain et le corps poétique. L'errance du verbe poétique Dans ce colloque, les cordes invisibles de ce poète des îles et du désert ont été accordées grâce à des spécialistes qui ont joint la sémantique à la sémiologie, en passant par la stylistique et la critique d'art. Leurs approches se sont arrimées délibérément et gracieusement à la rime poétique gasparienne ; celle de son approche de la parole dynamique, mouvementée et fluide, qui représente le flux de la vie : une sève originelle qu'il tente de scander grâce aux choses, à la matière, à la pensée, au corps et à l'image. Ainsi l'errance du verbe arpente l'énergie du monde et revivifie une « géopoétique » du monde sensible, métaphysique et mystique. Celle-ci permet alors une pluralité d'approches interpénétrant une poétique de la pensée, du corps vivant dans une ouverture permanente sur l'image et l'imaginaire du monde. La photographie : le cheminement du verbe imagé La poésie gasparienne est en parfaite communion avec l'art : la photo est donc le lieu et le laboratoire où les genèses des matières du monde se manifestent récurremment à travers l'île, le désert et la terre, constituant ce triangle doté d'une âme poétique fantasmée par Lorand Gaspar : « J'ai rêvé d'une genèse. » signe-t-il. L'expression artistique s'accorde alors à manifester l'expérience et l'écriture de la transe de la poésie, de l'imaginaire, du rêve et de la méditation étant les expériences majeures de la poésie « insoutenable ». Comme si alors, le langage nous exilait constamment dans ce tourbillon de sens dissemblables « sur un nouveau continent verbal », comme le soulignait notre philosophe Michel Foucault, où les significations auront inlassablement et nouvellement surgi. Des «paroles d'un jour près du jasmin» Lorand Gaspar est considéré comme un poète tunisien de par son attachement à ce pays et à cet «enracinement» merveilleux dont témoigne l'âme de sa poésie, particulièrement son recueil : «Patmos et autres poèmes». La Tunisie et particulièrement Sidi Bou Saïd ont été pour lui l'«Arabie heureuse». Il déclare d'ailleurs que «l'esprit de ce lieu» a été une sorte de dévouement pour les «artistes» dont il fait partie : « [...] à Sidi Bou Saïd, j'y vais trouver une chose inespérée : un de ces moments d'équilibre, d'accord mystérieux entre le faire humain, les mouvements de la terre, du ciel et de la mer [...] quelques artistes attachés à l'esprit de ce lieu».