Mehdi Tej, géopoliticien, apporte un éclairage sur les multiples rencontres de politiciens tunisiens avec Algériens et Américains La rencontre du chef du gouvernement provisoire, Ali Laârayedh, avant-hier, avec le général David M.Rodriguez, chef du commandement militaire américain pour l'Afrique (Africom), et les dernières visites des deux « cheikhs », Ghannouchi et Caïd Essebsi, en Algérie, ont interpellé maints observateurs. Elles ont également suscité des questions du genre : sommes-nous les vrais maîtres de notre destin ? Et quelle est la place de la Tunisie dans la nouvelle carte géopolitique du Grand Maghreb ? Ces deux faits saillants d'une actualit embrouillée ont débouché sur des messages qu'il incombe aux experts de décoder. Contacté, Mahdi Tej, géopoliticien spécialiste du Maghreb et du Sahel, apporte son éclairage. Pour le spécialiste, les deux évènements ne sont pas à détacher de deux données majeures. La première concerne les agendas locaux dans le contexte des rivalités entre la Troïka au pouvoir et l'opposition. La deuxième se rattache aux agendas étrangers qui ne font qu'instrumentaliser les rivalités intérieures et puiser dans les vulnérabilités dont souffre l'ensemble de la classe politique. L'interlocuteur estime que le général américain serait venu tirer la sonnette d'alarme quant à une situation tunisienne devenue très inconfortable, étant donné que le pays se situe entre deux Etats, menant chacun son propre combat. Il y a, d'un côté, une Libye vivant une situation à l'irakienne et qui lutte pour sauvegarder son unité nationale. M. Tej s'appuie, ici, sur ce qu'a déclaré dernièrement le chef du gouvernement libyen Ali Zeidane : « Si la situation chaotique persiste, nous allons avoir recours à une intervention étrangère qui ouvre la voie à une nouvelle colonisation du pays. De là, certains auraient intérêt à déstabiliser la Libye pour faire main basse sur ses richesses ». Et il y a, de l'autre côté, une Algérie qui, préparant ses élections pour 2014, cherche à jouer le rôle de puissance dont dépend la stabilité de toute la région maghrébine et des pays du Sahel. Des puissances étrangères cherchent à rectifier le tir Pour le géopoliticien, l'Algérie cherche à affirmer son leadership dans la région nord-africaine en amplifiant les rivalités intermaghrébines, mais elle est en même temps consciente des menaces qui guettent son unité nationale. Lesquelles menaces sont liées à la présence des troupes françaises sur ses frontières avec le Mali, au conflit avec le Maroc et, enfin, à sa proximité d'un pays en transition démocratique, à savoir la Tunisie. « L'Algérie se sent comme une citadelle assiégée et les forces occidentales, conscientes des enjeux y afférents, préparent l'assainissement de la scène algérienne à court terme. Et ce, en procédant à la démocratisation de ce pays qui souffre de vives rivalités entre les différents clans au pouvoir », précise M. Tej. Sur un autre plan, l'interlocuteur note que les Américains et le reste des forces occidentales, dont la Grande-Bretagne et l'Allemagne, avaient à un certain moment appuyé les islamistes tunisiens dans la prise de pouvoir, pariant sur le fait que, confrontés à la gestion des difficultés économiques et sociales, ils allaient être obligés de canaliser leurs extrémistes. Un objectif qui n'a pas été atteint, prouvant que ce pari, exemple égyptien à l'appui, a ses propres limites. D'où la nécessité pour ces Etats de rectifier le tir. La visite du général américain en Tunisie, quant à elle, donnerait à lire que les Etats-Unis, appuyés par la France, tentent d'exercer de fortes pressions sur la Troïka et, dans une moindre mesure, sur l'opposition, afin de sortir de l'impasse politique et de la crise économique, sociale et sécuritaire. « En insistant sur le contrôle des frontières lors de sa rencontre avec Ali Laârayedh, le général américain aurait assigné à la classe politique tunisienne d'accélérer la cadence pour parvenir à un arrangement susceptible de lutter contre l'enracinement du crime organisé transnational qui gangrène l'Etat », analyse l'interlocuteur, avant de conclure que la Tunisie, telle qu'elle se présente par rapport à la nouvelle carte géopolitique, serait le laboratoire d'une nouvelle thérapeutique.