Depuis la révolution, les enfants, victimes d'abus sexuels, font partie des sujets médiatiques les plus en vogue Comment aborder les sujets liés à l'enfance sans pour autant porter atteinte à la dignité et à la vie privée des chérubins? Est-il possible, pour un journaliste, de porter une double casquette, celle du communicateur et celle du défenseur de la cause infantile tout en réussissant l'équilibre entre la déontologie du métier et le respect des droits de l'enfant ? Dure épreuve que de s'investir dans ce sens sans causer de dégâts moraux. Dure, mais pas pour autant irréalisable... Depuis la révolution, les organes de presse découvrent une liberté déchaînée dans le sens aussi bien quantitatif que qualitatif du terme. L'enfance s'est trouvée du jour au lendemain l'un des sujets médiatiques les plus en vogue. Un filon rentable et efficace pour dévoiler un scandale, mettre du sensationnel à la une des journaux et influencer l'opinion publique dont la réceptivité est inconditionnée, surtout lorsqu'il s'agit de thèmes plus émotionnels qu'informatifs. Ce fut le cas avec l'affaire de la petite fille violée dans un jardin d'enfants et les enfants des martyrs de l'opinion, Lotfi Naguedh, Chokri Belaïd ou encore Mohamed Brahmi. Pendant plusieurs semaines, ils ont fait la Une des journaux de la presse écrite et l'audimat des chaînes télévisées qui, en déniant les droits de l'enfant, ont fini par métamorphoser le malheur des chérubins en scoops. Les enfants violés : victimes et protagonistes Pis encore, outre les images utilisées des enfants, la plupart d'entre eux — y compris la petite fille victime de viol — ont été, et contre toute éthique, interviewés, voire sollicités à coopérer pour la conception de « scoops », pour faire le « buzz». Autant de leurres qui se sont succédé sur nos chaînes et dans la presse écrite, autant de violations — préméditées ou maladroites — des droits de l'enfant. Du coup, le produit médiatique, qui se veut enfin libre, s'avère être la preuve de la négligence et du déni des droits de l'enfant. Pourtant, notre pays figure parmi les premiers à avoir adopté la Convention relative aux droits de l'enfant. La création du Code de la protection de l'enfance en est le résultat et traduit une volonté politique d'intégrer ces droits dans la culture tunisienne. Les droits de l'enfant sont, par conséquent, accessibles à toute personne désirant s'engager en bonne et due forme dans ce combat. Les médias constituent, à ce titre, le meilleur allié disposant des moyens de communication et de sensibilisation à même de diffuser les principes de cette noble cause. Or, et à la grande déception des défenseurs des droits de l'enfant et des journalistes respectueux des lignes rouges du métier, ce sont des médias, essentiellement privés, qui priment le lucratif sur l'éthique, le scoop sur les droits. « On peut défendre la cause de l'enfance en étant journaliste. Mais pour cela, il faut rester journaliste », indique Mme Claire Brisset, consultante auprès de l'Unicef, défenseur des droits de l'enfant et ancienne journaliste au Monde lors de la tenue, récemment, de la journée de réflexion sur le thème « Médias et droits de l'enfant ». Aux journalistes de résister aux pressions Etre journaliste — de formation ou autodidacte — implique impérativement la connaissance des règles-clés de ce métier. Traiter de sujets liés à l'enfance nécessite, par ailleurs, une vigilance supplémentaire et une connaissance des droits de l'enfant, dont le droit à la dignité, à la vie privée et à l'identité. Etre un journaliste-défenseur des droits de l'enfant exige professionnalisme et passion pour ce domaine. Pour Mme Brisset, faire preuve de professionnalisme passe également par la résistance aux différentes pressions auxquelles fait face le journaliste. «Résister aux pressions internes et externes liées aux contraintes du métier, notamment la contrainte temporelle, la tyrannie du bouclage, la négligence du recoupement, mais aussi la tentation du scoop et le recours à l'émotionnel, autant de pièges à éviter afin de préserver intacte la qualité du produit à diffuser », souligne-t-elle. La garantie du professionnalisme exige, aussi, la protection du métier de l'invasion des amateurs. Ces derniers s'autoproclament journalistes en procurant aux organes de presse des infos, voire des rumeurs ou intox, sous forme de vidéos ou de photos. La catégorie infantile fait souvent l'objet d'exclusivité diffusée sans la moindre hésitation, d'où l'atteinte aux droits des enfants. Certes, un journaliste-défenseur des droits de l'enfant doit exposer les problèmes liés à cette catégorie vulnérable tout en la protégeant. Les règles de protection de l'enfance dans les médias sont claires : non- publication des informations dévoilant l'identité de l'enfant afin de respecter son droit à l'anonymat, notamment s'abstenir de citer son nom complet, les noms de ses parents ( ce qui risque de le rendre identifiable dans son entourage ) et de publier sa photo. Il est à rappeler que ces règles sont valables pour tout enfant, soit toute personne âgée entre 0 et 18 ans. La consultante de l'Unicef réfute les abus à l'égard des droits de l'enfant aussi bien en Tunisie que dans le monde. Elle cite, comme exemple, l'affaire Dutrot, au cours de laquelle l'on a dévoilé les noms des 60 enfants victimes d'abus sexuels et de maltraitance. Elle dénonce, par ailleurs, les campagnes médiatiques portant sur un enfant-soldat de Sierra Leone, surnommé « Hitler », dont la photo a été diffusée sur d'innombrables chaînes télévisées. Récemment, encore, des enfants témoins d'un suicide, qui a eu lieu dans une école, ont été interviewés par des journalistes sans que ces derniers ne se soucient du traumatisme qui risque de les torturer psychologiquement pendant longtemps. Protection juridique « mineure » Juridiquement parlant, la protection de l'enfance contre l'égocentrisme médiatique s'avère une protection « mineure ». Selon M. Lazhar Jouili, magistrat, les ONG sont habilitées à poursuivre en justice tout organe médiatique ayant porté atteinte aux droits de l'enfant. Cependant, et malgré les décrets-lois imposant le respect des droits de l'enfant, la justice ne réagit pas d'elle-même contre les dépassements commis dans ce sens. Pis encore : le corps judiciaire lui-même néglige souvent le droit des enfants. L'audience des enfants victimes ou des enfants acteurs de crime se fait souvent dans des conditions inappropriées. Aussi, les agents et les inspecteurs chargés de recueillir les déclarations desdits enfants ne sont pas formés à cet effet. Les enfants ne bénéficient d'aucun traitement spécifique qui tienne compte de leur vulnérabilité et de leur fragilité psychologique. D'où l'importance de la diffusion de l'information et de la sensibilisation sur les droits de l'enfant.