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Reste l'étincelle
17 décembre 2010 - 17 décembre 2013
Publié dans La Presse de Tunisie le 17 - 12 - 2013

Derrière la longévité déroutante du régime du 23 octobre et les manœuvres de confiscation et de remise en question du processus révolutionnaire, que reste-t-il de l'étincelle du 17 décembre 2010 ?
*«La Révolution survient quand ceux qui sont au pouvoir ne veulent plus le quitter et ceux qui sont dans l'opposition sont incapables de les déloger. » (Lénine)
Ceux qui n'ont jamais cru à l'authenticité de la thèse de la révolution en ont pour leur incrédulité. Ceux qui ont, depuis le début, privilégié la théorie du complot en ont pour leur flair. Le cours des événements semble leur donner raison. Trois an après l'acte d'auto-immolation de Mohamed Bouazizi, au matin du 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, le processus révolutionnaire — alors enclenché autour des revendications: justice sociale, travail, liberté et dignité — semble être interrompu. Alors que la première année de transition a tenté d'identifier et d'ajuster la réponse politique et constitutionnelle à la demande économique et sociale, le régime issu du scrutin du 23 octobre 2011 a définitivement déplacé le débat public vers une pure et dure course au pouvoir durable, à la domination et au contrôle des rouages de l'Etat. La révolution sonne comme un mot caduc. Le spectre de la contre-révolution, plus vivace que jamais, est convoqué à la construction du nouveau pouvoir qui se fige sur une position et une seule : « Le pays peut s'effondrer, nous y sommes, nous y restons et si nous sommes poussés vers la porte de sortie, c'est un coup d'Etat !...»
Impasse politique, tension sociale, insécurité, bilan économique morose, justice en peine, un état d'urgence à n'en plus finir et un projet de constitution enlisé dans l'affrontement des identités. Ballottés entre une version et son contraire, les Tunisiens ne savent plus s'ils doivent croire ou ne pas croire à la véracité de la révolution et à la droiture de la transition. Leurs propos traduisent désenchantement, contradictions, peurs, suspicions et cette question hallucinante : et si tout cela n'était que sombre complot et vagues intrigues de palais ?
En deux ans, les livres, les articles de presse, les vidéos fuitées, et les déclarations de responsables remettant en question les vastes mouvements populaires de l'hivers 2010 2011 et trahissant des bribes de complots ont défrayé la chronique. Et si tout n'était que scénarios préconçus ? La révolution, la montée au pouvoir des islamistes, la polémique sur l'identité, les lourdeurs de l'ANC, le terrorisme ambiant, les guérillas du mont Chaâmbi...? Les Tunisiens n'ont jamais été aussi désorientés. Mais alors d'où vient ce doute et que nous en coûte-t-il ?
Chronique d'une dérive et retour aux fondamentaux du 17 décembre 2010 avec quatre penseurs tunisiens qui croient simplement qu'une étincelle ne s'allume pas pour s'éteindre.
Fethi Benslama (professeur de psychopathologie) : « Il y a quelque chose de certain dans la révolution »
Il y a dépression et les Tunisiens ont raison d'être dépressifs. D'un côté, ils ont trop idéalisé ce qu'ils ont fait. La Tunisie a vécu un moment proprement révolutionnaire, mais quelque chose a été arrêté dans ce processus qui aurait pu aller plus loin dans l'idée de la justice, dans les formes de liberté et de participation au jeu démocratique. Ce coup d'arrêt est lié à la crainte qu'a inspirée le processus. Il s'est traduit tout à coup par le retrait de la jeunesse. Des vieux ont pris la place avec des méthodes anciennes et des discours connus. L'autre phénomène qui a affecté les Tunisiens, c'est l'apparition de ce mode conservateur qui veut fonder la perception politique et la prise en compte des problèmes de la société à travers la morale. Tout cela a déprimé les Tunisiens, car il les a amenés à perdre foi en leur extraordinaire capacité des débuts. Toutefois, je pense que cette dépression est temporaire. Le processus révolutionnaire va ressurgir, peut-être pas immédiatement, ni dans les mois qui viennent. Mais il ressurgira parce que les Tunisiens sont bel et bien entrés dans un processus de maturation, en tant que sujets politiques et que trois ans après, la construction politique engagée n'est pas à la hauteur de leurs aspirations. Les personnes qui gouvernent ont coulé ces aspirations dans des canaux anciens. C'est un discours nouveau et crédible qu'attendent les Tunisiens. Or, devant eux, il y a à peine des joueurs, de petits malins et de petits Narcisse, mais aucun acteur politique n'est à la hauteur de ce qui s'est réellement passé. Il y a toujours des manipulations et des gens qui complotent. Mais cela ne touche pas au processus. Il y a quelque chose de certain dans la révolution : libération de la parole, expérience du dévisagement traumatique, narcissisme éclaté, désagrégation de l'unité, nouveau reflet de nous-mêmes, de nos divergences, nos divisions...
La chute de Ben Ali et l'effacement de l'image du despote constituent un enjeu narcissique : l'éclatement du grand miroir politique en une multiplicité de miroirs et de narcisses. Ce foisonnement est en lui-même, source d'incertitudes et de suspicion, mais il est positif. Il cristallise une forme de vie démocratique. On dépasse la négativité du Narcisse absolu. On passe de la communauté à la société... Preuve qu'une révolution est en cours, quelle qu'en soit l'issue. Pour la remettre sur la voie, il faudrait commencer à rétablir le lien d'identification, arrêter le discours clivant entre sur-musulmans et sous-musulmans, entre laïcs et rétrogrades, cesser de s'infliger des blessures... Prendre simplement notre réalité comme nous l'offre le grand miroir politique... Désormais, notre réalité n'est plus camouflée.
Hamadi Redissi (professeur de sciences politiques) : « Ceux qui ont profité de la révolution sont incapables d'en réaliser les objectifs »
Il y avait dans les mouvements de révolte engagés en décembre 2010 deux demandes à l'œuvre : la demande des sinistrés : égalité et justice sociale, et la demande des libéraux : une demande politique de démocratie et de liberté. Historiquement, on pouvait très bien marier ces deux demandes mais c'est l'interférence de l'islam politique qui a brouillé les cartes.
Il y a eu ensuite trois imaginaires révolutionnaires en compétition. L'imaginaire libéral, concept de 1789 avec pour mot d'ordre : on va prendre la Bastille. L'imaginaire bolchevique qui pense prendre la Douma d'Etat. Enfin ,l'imaginaire de 1979; celui de la révolution iranienne pétri à l'islamisme turc. Tout cela constitue un mélange disgracieux. En arrière-fond de ces trois imaginaires, il y a la répétition du geste bourguibien à travers le projet d'une deuxième République. Résultat : on a coupé l'historicité de l'Etat, mais les élites post-14 janvier ont été incapables de fonder une deuxième République. Elles en ont raté la fondation. Ce sera une deuxième République bâclée. Résultat : la transition a donné lieu à un régime de désordre, d'outrance, d'excès, de nivellement par le bas. Un régime dépourvu d'autorité et qui a un côté décadent. Dans les faits, ceux qui ont mené la révolte n'en ont pas profité et ceux qui en ont profité ont été incapables d'en réaliser les objectifs.
Face à ces dérapages, la Rue, composée de jeunesses, de femmes, d'associations continue à jouer un grand rôle à chaque fois qu'il y a un bras de fer entre les forces démocratiques et le pouvoir. A chaque fois, c'est la rue qui a tranché et le pouvoir a dû faire des concessions. Même fatiguée, la rue a encore le moyen de faire la différence, à moins de considérer que la révolution est terminée et, dans ce cas, c'est la raison de l'Etat qui primera. Mais si l'on reconnaît que les demandes de la révolution n'ont toujours pas de réponse, la rue va forcément avoir encore son mot à dire. La rue tunisienne a déjà donné la preuve qu'elle n'est pas une masse destructrice mais une force d'un grand civisme qui va effectivement faire pencher la balance du côté des forces démocratiques.
Riadh Ferjani (enseignant chercheur en sciences de l'information et sociologie de la communication) : « La machine de la propagande s'est attaquée à Bouazizi, un symbole en devenir »
Je récuse le terme complot. Il n'y a pas de complot. Il y a dans le champ politique un rapport de force, qui fonctionne pendant un temps et qui produit son discours et ses récits. Et puis, à un certain moment, il y a une rupture de ces équilibres, et le commencement d'un nouveau moment historique. Les intrigues de palais existent certes mais ne constituent, en conséquence, qu'un élément de l'analyse politique. Dire qu'il n'y a pas eu de révolution, c'est confirmer que la politique a toujours été affaire de chambres closes : c'est saper le moral des gens qui croient en la citoyenneté active.
Une réalité sociologique : il n'y a pas un seul récit, mais plusieurs qui entrent en concurrence, qui s'opposent les uns aux autres. Autour du personnage de Mohamed Bouazizi, il y a eu un moment, avant le 14 janvier 2011, où l'un des axes de la propagande de Ben Ali a été de s'attaquer au personnage (alcoolique, délinquant...). La machine de la propagande s'est attaquée à Bouazizi puisque c'était un symbole en devenir. Les récits différents entrent en concurrence et c'est évidemment le discours dominant qui prend le dessus. A ce moment-là, dans les médias numériques et les réseaux sociaux, le discours dominant était axé sur la symbolique du profil du jeune chômeur et de son geste de désespoir. Les soulèvements fonctionnent en partie sur les symboles, quelle que soit la réalité des personnages. A ce jour, tous les livres sur la révolution s'articulent autour de Bouazizi.
Il y a des récits plus plausibles que d'autres. Ils sont faciles à croire sans apporter la preuve historique. Cela n'enlève rien à la véracité des faits. Même le fait qu'il ait pu y avoir une révolution de palais n'enlève rien à la véracité du soulèvement populaire, de la communion des Tunisiens de tout horizon, mobilisés dans toutes les régions et enfin sur l'avenue Habib Bourguiba. Dans les moments difficiles de la transition, les récits dominants deviennent les plus crédibles. On va croire à ce qui est plausible.
Un récit dominant n'est jamais éternellement dominant. Les récits en concurrence sont régis par un rapport de force. Dès que ce rapport de force change, les récits perdent leur place.
Dans les études prospectives et les stratégies prévisionnelles les plus rigoureuses, il reste impossible de tout prévoir. Il y a toujours une multiplicité de scénarios et dans cette multiplicité, des éléments qui échappent toujours aux prévisions et au contrôle. Dans les scénarios les mieux ficelés, il reste toujours une marge d'action et des possibilités pour la résistance.
Adel Ltifi (professeur d'histoire contemporaine du monde arabe) : « La société a échappé à l'emprise et au despotisme de l'Etat »
Depuis le 17 décembre 2010 et pour la première fois de son histoire moderne et contemporaine, la société tunisienne a échappé à l'emprise de l'Etat, à son despotisme, à sa culture et a exprimé librement ses paradoxes sociaux, culturels, politiques. Dans l'histoire, les moments de rupture sont souvent associés aux sentiments les plus contradictoires : doute et confiance, espoir et désespoir, enchantement et désenchantement. La société, en branle, est alors exposée, à corps défendant, à la tyrannie de la passion. Et cette passion est potentiellement porteuse de populisme. C'est ce populisme qui s'est exprimé, lors des élections du 23 octobre. Le premier rendez-vous démocratique aura acté la prédominance de trois types de populisme: populisme religieux avec Ennahdha, populisme social avec les partisans de Hachmi Hamdi, voix de la campagne, et populisme politique avec le CPR... Mais là où le processus dérive, c'est quand tous les objectifs et aspirations de la révolution sont évacués pour laisser place à une polémique sur l'identité. La révolution tunisienne que l'on croyait porteuse d'avenir a aussitôt été rattrapée par le passé récent avec la problématique de Bourguiba et de l'Etat de l'indépendance et même par le passé lointain, celui des débuts de l'Etat moderne du milieu du XIXe siècle.
La théorie du complot est une forme d'oisiveté intellectuelle. La révolution tunisienne est bel et bien l'aboutissement d'une dynamique sociale interne qui s'est conjuguée à un contexte planétaire défavorable aux dictatures. Dire que l'Occident via le Qatar a mobilisé les Tunisiens contre Ben Ali est une façon de déprécier la société tunisienne.
Ce qui explique en revanche les dérives du processus révolutionnaire, c'est que le parti islamiste monté au pouvoir souffre d'une carence au niveau de sa culture politique et historique. Une situation compréhensible pour un parti qui trouve du mal à outrepasser la prédication pour rejoindre la politique. Cet état d'esprit explique la confusion, chez l'élite qui domine Ennahdha, entre gouverner dans le sens d'administrer l'Etat et gouverner dans le sens de dominer l'Etat... Ainsi, ils se sont consacrés durant la période transitoire au contrôle de l'Etat aux dépens des besoins immédiats de la société, de l'économie et aux dépens de la transition démocratique.


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