«Si rien ne change, tout le processus n'aura pas réussi», alerte Taoufik Bouderbala Bien qu'elle ait été adoptée et promulguée au Journal officiel (Jort) à la fin du mois écoulé, la loi sur la justice transitionnelle n'a pas fini de susciter polémiques et controverses. Pas plus tard qu'hier, lors d'une conférence de presse tenue au siège du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) à Tunis, la Coordination nationale indépendante de la justice transitionnelle a mis le doigt sur les lacunes et les failles contenues dans le texte de loi. L'absence de volonté politique en vue d'y apporter les modifications adéquates est de nature à provoquer des dérives dans la recherche des vérités et à exposer l'application de la loi à de fausses interprétations. Au risque de tourner au règlement de comptes, au mépris des objectifs de réconciliation nationale. Voilà pourquoi le comité constitué par ladite Coordination, sous l'égide de son président, Me Amor Safraoui, vient de rendre public un communiqué où il revient sur les lacunes de la justice transitionnelle. A l'en croire, 19 articles sont en contradiction avec les dispositions procédurales. Les poursuites judiciaires, souligne Me Safraoui, risquent de n'avoir pas lieu pour vice de forme. Au-delà de ses points positifs, la loi 53 relative à la justice transitionnelle, promulguée le 24 décembre dernier, laisse présager des difficultés sur le plan pratique et au niveau de l'exécution des jugements. Tel est le cas de l'article 2, qui insiste sur l'intérêt des victimes et la préservation de leur dignité, au détriment de celle des coupables présumés, et ce, en violation des principes de neutralité et d'égalité devant la loi. Idem pour l'article 10, dont le deuxième alinéa étend le concept de «victime» à sa famille et ses proches. Ce sens élargi pourrait avoir des répercussions sur l'établissement des listes des victimes et entraver, de la sorte, le travail du comité «Vérité et dignité», qui est en charge du dossier de la justice transitionnelle. Même la composition de ce comité, tel que prévue par l'article 20, semble poser un problème au niveau de ceux qui représentent les victimes et les associations actives en matière de droits de l'homme. D'autres articles posent des problèmes liés, par exemple, à l'organisation des chambres judiciaires (art. 8), aux législations paradoxales (art. 9) et au travail du comité «Vérité et dignité», dont le choix relatif à la période d'accomplissement de sa mission (juillet 1955- décembre 2013) est jugé arbitraire (art. 17). Les réserves concernent les articles 22, 23, 26, 30, 34, 42, 43, 45, 47, 48, 54, 67 et 68. Taoufik Bouderbala, membre du comité de la Coordination et ex-président de la Commission d'investigation sur la vérité, a dénoncé le fait que cette loi a été taillée sur mesure pour certaines parties et aux dépens d'autres. « Si rien ne change à ce niveau, le processus de la justice transitionnelle n'aura pas réussi. Et les futures générations vont payer le prix fort», a-t-il prévenu. Et de révéler que la version finale de ladite loi telle qu'elle a été présentée à l'examen devant l'ANC n'a pas tenu compte des propositions et suggestions émanant de la société civile (la Coordination, la Ltdh, les avocats) et de bien d'autres parties prenantes à l'élaboration des projets relatifs à la justice transitionnelle. Que de fois a-t-on interpellé le gouvernement pour s'accorder sur un projet consensuel qui serait bien conçu et réfléchi. En vain, l'opinion unique l'a emporté... Ainsi s'exprimait M. Safraoui. Le comité issu de la Coordination nationale de la justice transitionnelle a donc décidé d'aller plus loin. Il tente de s'adresser au Quartet, parrain du dialogue, aux constituants et aux différentes composantes de la société civile afin d'attirer leur attention sur les risques d'un éventuel échec de l'expérience tunisienne en la matière.