La commission parlementaire de tri des candidats doit établir une grille d'évaluation transparente. Objectif : éviter les choix arrangés L'Instance vérité et dignité, censée gérer l'épineux dossier de la justice transitionnelle, semble rencontrer, bien avant que les 15 membres de sa direction ne soient choisis par les constituants de l'ANC, certaines difficultés qui pourraient entacher son action future. Ainsi, l'action menée par la commission parlementaire de tri des candidats à la commission Vérité et dignité est-elle l'objet d'un vent de contestation de la part des associations de la société civile spécialisée dans le domaine de la justice transitionnelle. Ces associations au nombre de six (voir encadré) estiment que la commission de tri qui a déjà reçu 430 dossiers de candidature durant la période du 28 janvier au 11 février navigue à vue et fait la sourde oreille à leurs propositions, plus particulièrement pour ce qui est de l'absence d'une grille d'évaluation sur la base de laquelle seront retenus ou écartés les candidats à l'instance. Et les associations en question de braver le refus opposé à leurs initiatives pour organiser, hier, une manifestation devant l'ANC au terme de laquelle quatre responsables de ces mêmes associations ont fini par rencontrer trois membres de la commission parlementaire de tri et leur ont soumis leurs propositions, par écrit, dans l'objectif de procéder aux révisions qui s'imposent, notamment pour certains articles de la loi portant création de l'Instance vérité et dignité. Notre credo, la transparence totale Le Dr Kamel Gharbi, président du Réseau tunisien pour la justice transitionnelle, confie à La Presse : «En l'absence au sein de la loi d'une grille d'évaluation, le choix des candidats s'opère sur la base du consensus (art. 23). Au sein de la société civile, nous appelons à parer à cet oubli en mettant au point une grille d'évaluation fondée sur les critères suivants : – La compétence de chaque candidat dans son domaine. – L'aptitude à gérer des institutions en faisant preuve d'expérience au sein d'associations ayant un rapport avec la justice transitionnelle. – L'indépendance politique : tout candidat ne doit avoir aucune activité politique ni avant ni après la révolution. – Faire preuve d'intégrité totale (ne pas avoir d'antécédents judiciaires, d'où l'obligation pour chaque candidat de produire son bulletin n°3). – La mise au point d'une définition claire pour les associations des victimes et les organisations de défense des droits de l'Homme qui auront chacune deux représentants au sein du comité directeur de l'Instance vérité et dignité». «Tous ces critères, estime notre interlocuteur, permettront de dresser une liste de candidats avec un classement par ordre de mérite dans chaque catégorie concernée. Nous demandons aux membres de la commission de tri de ne pas traiter les candidats en tant que dossiers administratifs. Il faut les écouter en séances d'auditions publiques et télévisées». Des articles à réviser Les demandes des représentants de la société civile ne se limitent pas uniquement à l'adoption d'une grille d'évaluation départageant les candidats. Elles ont trait également à la nécessité d'amender certains articles de la loi portant création de l'Instance vérité et dignité adoptée le 15 décembre 2013 par l'ANC. «Nous considérons que l'article 8 sur le trafic des élections et l'exil forcé est à amender. Nous exigeons que la loi sur la justice transitionnelle prévoie que ces crimes seront sanctionnés selon une disposition législative ultérieure. L'article 25 est aussi à revoir puisque pour le moment la loi ne prévoit aucun recours pour les candidats qui verront leurs dossiers rejetés par la commission de tri. Il faut que chaque candidat s'estimant lésé ait le droit d'ester en justice contre la commission de tri. Enfin, l'article 43 relatif au vetting (lustration des secteurs impliqués dans la corruption et le despotisme) pose problème puisque actuellement ce sont uniquement les magistrats qui sont concernés». Enfin, une oreille attentive Kamel Gharbi conclut en soulignant : «Notre mouvement a, enfin, trouvé une oreille attentive. Les constituants Chokri Kastalli, Karim Krifa et Oussama Sghaïer, membres de la commission parlementaire de tri, ont rencontré une délégation représentant les associations organisatrices du mouvement de protestation. Nous leur avons soumis nos demandes et ils nous ont promis de les transmettre au Dr Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC et président de la commission de tri. Nous avons la promesse d'être reçus officiellement dans les prochains jours par Ben Jaâfar». Il insiste en concluant : «Nous tenons à ce que les associations de la société civile spécialisées soient associées à l'observation de l'opération de sélection des candidats. Notre objectif est de conférer à l'opération le maximum de transparence et de crédibilité. En plus clair, nous voulons couper court aux marchés qui pourraient être conclus au sein de la commission». Six associations à écouter Le mouvement de protestation qui s'est tenu, hier, devant l'ANC a été organisé par les associations suivantes : – La coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle, présidée par Me Amor Safraoui – Le Réseau tunisien pour la justice transitionnelle, présidé par le Dr Kamel Gharbi – Le centre de Tunis pour la justice transitionnelle présidé par Sihem Ben Sedrine (par ailleurs candidate au bureau directeur de l'Instance vérité et dignité) – Le Centre Kawakibi pour les transitions démocratiques, présidé par Amin Ghali – Le Centre des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle, présidé par Brahim Amri.