La loi sur l'Instance vérité et dignité révèle déjà ses lacunes bien avant que les candidats ne soient retenus Comme l'on s'y attendait, les candidatures au comité directeur de l'Instance dignité et vérité ont provoqué la polémique et la controverse parmi l'opinion publique, les observateurs et les juristes qui guettaient les réactions de la commission parlementaire de sélection de ces mêmes candidatures. Amor Safraoui, président de la coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle, lance un ultimatum à la Constituante pour qu'elle révise, le plus tôt possible, la loi sur la justice transitionnelle qu'il considère comme anticonstitutionnelle. Au cas où sa demande ne serait pas satisfaite, il menace de recourir au Tribunal administratif afin de faire annuler la loi en question. Ces indiscrétions distillées par certains membres de la commission de tri sur la candidature de Sihem Ben Sedrine ont suscité un tollé général sur les réseaux sociaux. Les blogueurs considèrent, en effet, que Ben Sedrine n'est pas indépendante politiquement et qu'étant elle-même une victime de l'ancien régime, elle ne peut pas prétendre au bureau directeur de l'Instance vérité et dignité puisque l'on ne peut pas être à la fois juge et partie. Pour éclairer ses lecteurs et éviter les lectures à caractère strictement politique de l'action que la commission de tri aura à entreprendre, dans les prochains jours, en vue de dresser la liste des candidats dont les noms seront soumis au vote de la séance plénière de l'ANC, La Presse a donné la parole à deux intervenants, le Dr Kamel Gharbi, président du Réseau tunisien pour la justice transitionnelle et l'un des participants à la mise au point de la loi sur l'Instance vérité et dignité (du côté de la société civile et exprimant toutefois certaines réserves sur le texte final de la loi, en particulier pour ce qui est de l'absence d'une grille d'évaluation des candidats), et à Amir Mahfoudh, expert international en droit constitutionnel. Nous exigeons la discrétion totale «Contrairement à ce que les réseaux sociaux ont fait circuler, Sihem Ben Sedrine a le droit de se porter candidate au bureau directeur de l'Instance vérité et dignité, et ce, au nom des associations des victimes ou des associations de défense des droits de l'Homme, comme le prévoit la loi portant création de l'Instance. Le Conseil tunisien des droits et des libertés, qu'elle préside, a également le droit de présenter sa candidature», tient à préciser le Dr Kamel Gharbi. «Seulement, au sein du Réseau tunisien pour la justice transitionnelle, nous considérons que les membres de la commission de tri des candidatures n'ont pas le droit de dévoiler à quiconque les noms des candidats. Ils doivent s'astreindre à l'obligation de réserve. Toutefois, la commission est appelée à publier les noms des candidats retenus sur le site web de l'ANC, une fois l'opération de sélection achevée. Nous exigeons également que les C.V. de ces mêmes candidats soient également publiés afin que les associations de la société civile puissent vérifier les données fournies par les candidats et introduire les oppositions, le cas échéant». Un texte politisé, sinon partisan Pour l'expert international en droit constitutionnel Amin Mahfoudh, les choses sont claires : «Le texte juridique portant création de l'Instance vérité et dignité est un texte politisé, sinon un texte carrément partisan. Son contenu n'a aucun rapport avec l'essence même de la justice transitionnelle. Pour tout dire, ce texte est une production médiocre de l'ANC comparable aux autres textes que nos constituants ont enfantés auparavant». Et Mahfoudh d'étayer son analyse en soulignant : «Ce texte a été voté dans la précipitation totale et dans des conditions particulières ayant trait à la publication du Livre noir de Marzouki. Sur le plan juridique, cette loi ne devait pas être votée avant que la Constitution ne soit adoptée et n'entre en vigueur. Il pose, en outre, plusieurs problèmes comme le droit d'ester en justice au cas où l'une des victimes se considérerait lésée. Il en est également de la définition de la neutralité ou de l'indépendance des candidats au bureau directeur de l'Instance. Ainsi, il est inconcevable qu'une victime de l'oppression soit à la fois juge et partie au sein de l'Instance qui devrait dédommager les victimes». Et l'expert international en droit constitutionnel de conclure : «Les grandes lacunes que comporte la loi sur la justice transitionnelle seront mises à nu, lorsqu'on passera à l'application de cette loi».