Nos policiers et soldats sont-ils capables de gérer encore une guerre d'usure à laquelle ils n'étaient pas préparés ? Mine de rien, cela fait maintenant près de deux ans que la Tunisie est embarquée, à son corps défendant, dans la lutte contre le terrorisme. Deux ans après, il est regrettable de constater qu'on n'est pas encore sorti de l'auberge, cette lutte s'étant — hélas — transformée en véritable guerre d'usure. Fondamentalement, l'on sait que toute guerre d'usure exige, entre autres atouts de réussite, une préparation conséquente, une formidable capacité d'endurance, ainsi qu'une mobilisation exceptionnelle d'hommes, d'armes et de logistique. Or, à bien y voir chez nous, on est en droit de dire que ces atouts ne semblent pas être totalement réunis, pour la simple raison que notre pays, fort de ses longues traditions de paix et de stabilité, n'était point préparé pour relever un défi aussi audacieux que celui du terrorisme. «Sous Bourguiba et Ben Ali, on n'en parlait même pas», soutient Mohamed Ben Kilani, colonel à la retraite, qui estime qu'«une lutte contre l'hydre terroriste ne se gagne jamais rapidement et s'achève généralement au prix fort, surtout lorsqu'elle est handicapée par une préparation tous azimuts en bonne et due forme». C'est d'autant plus vrai que l'Algérie, par exemple, a mis dix bonnes années pour vaincre la douloureuse insurrection intégriste qui avait ensanglanté le pays dans les années 90 et qui s'est soldée notamment par la mort de 200.000 personnes. «C'est que l'Algérie, précise notre interlocuteur, ne sentait pas alors le danger venir. Et ainsi prise au dépourvu, elle n'a pu remonter la pente que plusieurs années plus tard». Idem pour les Etats-Unis qui, en envahissant l'Afghanistan puis l'Irak, ne savaient pas que des jihadistes, redoutablement armés, les attendaient au tournant, et les Gi's de s'enliser, malgré eux, dans les sables mouvants d'une guerre d'usure qui leur a coûté, ici et là, d'importantes pertes humaines. Et les exemples abondent pour démontrer les conséquences désastreuses d'une guerre qui s'éternise. A quand la rentrée des casernes ? Pour revenir dans nos murs, force est de constater qu'experts et observateurs continuent à réclamer le retour de nos soldats à leurs casernes. «En élisant domicile dans les rues, explique notre interlocuteur, une armée perd ainsi l'essentiel de sa vocation, à savoir la surveillance des frontières et la défense du territoire. Certes, elle peut intervenir en cas de besoin urgent, comme on l'a vu au lendemain de la révolution. Mais la lancer forcément dans une tâche qui perdure de la sorte équivaut à causer son usure pure et simple». Idem pour les forces de la police et de la Garde nationale, désormais presque exclusivement impliquées dans la lutte contre le terrorisme, très souvent au détriment de la gestion des tâches quotidiennes, à savoir la préservation de l'ordre et la lutte contre la criminalité. «90% de nos efforts sont focalisés aujourd'hui sur la traque des terroristes», déplore un policier qui affirme que «cela a fait la joie des bandits, des trafiquants de drogue et des contrebandiers». En attendant que se produise ce... miracle de la rentrée des casernes pour nos forces de sécurité et de l'armée, l'Etat, heureusement, continue d'identifier les solutions de compensation. Condamné à l'obligation de résultat dans cette féroce lutte contre les terroristes d'Al Qaïda, il vient, en effet, de décider l'ouverture de nouveaux concours de recrutement d'agents de l'ordre et de soldats, outre l'acquisition, à l'étranger, d'un lot supplémentaire d'armes, de logistique et d'équipements de combat sophistiqués. De quoi, au moins, alléger le lourd fardeau qu'endurent encore, jusqu'à l'étouffement, nos policiers et soldats.