Nos services de sécurité et de l'armée, loin d'être au bout de leurs peines après l'heureuse parenthèse de Raoued-Plage, sont persuadés que le plus dur reste à faire, sur fond de menaces «revanchardes», via les innombrables cellules dormantes de terroristes. Des lendemains pleins d'incertitudes... Trêve donc de triomphalisme ! C'est presque dans l'euphorie que les Tunisiens ont accueilli la bonne nouvelle, celle de la réussite de l'opération antiterroriste qui a eu, récemment, pour théâtre le pourtant paisible quartier de Raoued-Plage. Certes, l'idéal aurait été d'avoir vivants au moins trois, deux ou même un jihadiste, pour enrichir la banque de données que possèdent les ministères de l'Intérieur et de la Défense sur les mouvements terroristes. Certes encore, on aurait bien aimé voir nos flics privilégier la tactique de l'anticipation, celle-là même qui, techniquement, crée l'effet de surprise au tout début de l'opération pour prendre les insurgés au dépourvu, même si cela aurait causé des pertes certaines dans les rangs de nos forces de sécurité. Bref, trêve de...rêve, et saluons quand même les vaillants agents de la Brigade antiterrorisme (BAT) pour cet exploit non négligeable par les temps qui courent. D'abord, parce qu'il a mis définitivement hors d'état de nuire pas moins de sept dangereux terroristes qui auraient fait des malheurs s'ils avaient réussi à prendre la fuite. Ensuite, parce que le coup de filet de Raoued-Plage a étouffé dans l'œuf des attentats terroristes qui avaient atteint leur ultime phase de préparation et qui visaient, indiquent plusieurs sources policières concordantes, postes de police et de la Garde nationale, grandes surfaces, casernes, prisons, ambassades et...ponts ! Enfin parce que ce raid est un message fort adressé à Ansar Echaria et qui réaffirme la volonté de l'Etat et de tout un peuple de continuer à combattre impitoyablement la nébuleuse intégriste. Un Gadhgadhi en appelle un autre Tout cela est beau, réconfortant. Cependant, la sagesse recommande de dire qu'il n'y a pas lieu de pavoiser outre mesure. Car, céder au triomphalisme, c'est baisser la garde et, par là, permettre aux terroristes de ressurgir. Pour un enquêteur, «si le résultat de Raoued-Plage galvanise et rassure, il n'en demeure pas moins vrai que d'autres batailles, peut-être encore plus féroces, nous attendent. D'où l'obligation de maintenir la pression sur les hommes d'Abou Iyadh». Lui emboîtant le pas, un agent du groupe d'intervention de la BAT estime humblement que «nous avons affaire à un ennemi imprévisible, solidement structuré et redoutablement armé, au point qu'il compte probablement des centaines de cellules dormantes. Et, ma foi, remonter celles-ci n'est pas chose aisée, ce qui nous condamne à faire preuve de plus de vigilance, d'une meilleure exploitation des informations collectées et de davantage d'efficacité dans les opérations de traque, tout en comptant sur une collaboration plus étroite de la part de la population». Il est donc parfaitement clair que les propos de notre interlocuteur tranchent avec l'extraordinaire optimisme béat de certains qui se sont...enhardis à croire que l'attaque de Raoued-Plage a affaibli Abou Iyadh et sonné le glas de son organisation. En effet, on peut dire, sans aucun excès de pessimisme ou d'alarmisme, que le plus dur reste à faire dans cette âpre lutte contre le terrorisme en Tunisie. Cette thèse est déjà soutenue par plusieurs sources sécuritaires qui ont fait état, depuis jeudi, de l'existence de menaces de représailles émanant de milieux proches de l'aile dure d'Ansar Echaria où, l'esprit revanchard aidant, on aurait promis de revenir bientôt à la charge. Comment ? Quand? Où ? Nul ne le sait pour le moment. Mais ce que l'on sait, par contre, est que ce groupuscule bénéficie encore de plusieurs atouts qu'il n'hésitera pas peut-être, un jour, à déployer sur le champ de bataille. Ces principaux atouts sont : 1- La solide structure de l'organisation dont la rigueur de la hiérarchie, inspirée des fondements d'Al Qaïda, lui permet de survivre au lendemain de la disparition de l'un de ses émirs. Al Qaïda, qu'on croyait finie après la mort de Ben Laden, n'est-elle pas devenue, aujourd'hui, de l'aveu même des Américains, plus puissante que jamais ? N'a-t-on pas vu, à Raoued-Plage, ce que tramaient les acolytes d'Ansar Echaria (armes, munitions, explosifs...) et cela en dépit de l'arrestation de leur cerveau Abou Iyadh ? Autrement dit, dans l'idéologie des jihadistes, un émir en appelle un autre, et ce ne sont donc pas les Gadhgadhi qui manquent... 2) Les cellules dormantes des terroristes, et nous l'avions prévu ici en exclusivité depuis plusieurs semaines. Leur première apparition à Raoued-Plage, bien qu'avortée, pourrait être le prélude à... un prochain (imminent ?) tir groupé aux conséquences dévastatrices, quand on sait que, selon certaines sources policières bien informées, le nombre de ces cellules se comptent par centaines (plus de 450, à en croire les syndicats du ministère de l'Intérieur). Et si l'on se réfère au modus operandi des groupes jihadistes sévissant en Asie (Afghanistan, Pakistan...) en Irak, au Moyen-Orient (Syrie, Liban, Egypte, Yémen...) et en Afrique (Mali, Somalie, Nigeria, Tchad, Niger, Libye, Algérie...), on constatera que chaque cellule dormante est une véritable unité militaire renforcée de kamikazes des deux sexes et de... hautes compétences en matière de fabrication de bombes et de ceintures explosives, outre les «pros» de la préparation des voitures piégées. Or, jusqu'ici, on n'a pu démanteler dans nos murs que sept cellules ! Les 443 restantes quand le seront-elles? That's the question. 3) Il s'est avéré, d'après les enquêtes diligentées par les services concernés du ministère de l'Intérieur, que les groupes fidèles d'Abou Iyadh ont acheminé, ces derniers mois en Tunisie, via la Libye et l'Algérie, des renforts en hommes de différentes nationalités. Ce plan est piloté par Abdelmalek Droukdel, le number one d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique) qui chapeaute, à partir de son QG au Sahara, tous les réseaux terroristes en activité sur le continent africain. Pour toutes ces raisons, une triste réalité est à «encaisser» sportivement : le jour où on éradiquera définitivement l'hydre terroriste est encore, hélas, loin, voire très loin. Gare donc à la distraction.