Le chef du gouvernement devra se rendre sous peu au Golfe. Il ira dans une région sujette à de nouvelles tensions diplomatiques. Et devra se résoudre à un langage soigneusement mesuré dans une région où les jeux d'influence et le concert des sympathies et des offenses sont trop subtils pour être laissés au hasard. Le Conseil de coopération du Golfe, qui regroupe six pays, connaît sa plus grave crise depuis sa fondation en 1981. Jusqu'ici, le bloc de l'Arabie Saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Qatar était compact. Malgré quelques frictions. Mercredi dernier, au terme d'une réunion houleuse des ministres des Affaires étrangères des six pays membres, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn ont annoncé le rappel de leurs ambassadeurs au Qatar. Du coup, la donne géostratégique dans la région s'en est ressentie. Cela embrasse tant le conflit syrien que l'Egypte où la confrérie transnationale des Frères musulmans était soutenue à bout de bras par des pétromonarchies du Golfe, à la faveur dudit Printemps arabe. La Tunisie va au Golfe, avouons-le, en position de faiblesse. La corruption, la dilapidation des deniers publics et l'endettement faramineux légués par les deux gouvernements de la Troïka sortante nous ont laissés au bord de la banqueroute. Les caisses sont vides, les prix augmentent vertigineusement, la paupérisation sévit, les balances commerciale et financière sont largement déficitaires. On en est réduit à quémander l'aide, la mansuétude et les dons étrangers. Reconnaissons-le, disons-le, Mehdi Jomâa entamera ses visites au Golfe (puis européenne et nord-américaine) le couteau sous la gorge. Nous n'avons pas le beau rôle. Et nous serons plutôt enclins à faire le dos rond et composer avec les diktats. Qu'il s'agisse d'Etats ou d'instances financières (le FMI et la Banque mondiale en prime), nous sommes fragilisés d'emblée. Au Golfe, Mehdi Jomâa devra montrer patte blanche. Son généreux sourire ne suffira pas. Il devra faire le trapéziste au besoin. Les Arabes du Golfe sont réputés pour être particulièrement susceptibles, suspicieux et guère oublieux des offenses. Le Qatar n'en démord pas pour autant dans la mêlée des frères ennemis mise en branle depuis peu au Golfe. Pour toute aide, il exige lui aussi des dividendes. Le bloc d'en face, Arabie Saoudite, Emirats arabes unis et Bahreïn en prime, en fera autant. Mais sur la base de motivations complètement opposées à celles du Qatar. Leur communiqué commun d'il y a trois jours est fort instructif à ce propos : «Les pays du Conseil de coopération du Golfe ont tout fait auprès du Qatar pour s'entendre sur une politique unifiée (...) garantissant la non-ingérence de façon directe ou indirecte dans les affaires internes de chacun des pays membres», y lit-on. «Il a été demandé au Qatar de ne soutenir aucune action de nature à menacer la sécurité et la stabilité des Etats membres», ajoute le communiqué. Il cite notamment les campagnes dans les médias, en allusion à la chaîne satellitaire Al-Jazeera. Dans la même veine, le royaume saoudien a classé avant-hier les Frères musulmans comme organisation terroriste. Riyad a également inscrit les groupes djihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant et du Front Al-Nosra, qui combattent en Syrie, ainsi que le groupe de rebelles chiites Houthis au Yémen, sur sa liste d'organisations terroristes. C'est assez complexe et suffisamment compliqué pour commander la circonspection et le surplus de doigté diplomatique. Il ne s'agira point d'hypothéquer la décision nationale souveraine sous quelque forme que ce soit. Sans entériner pour autant le suivisme désastreux de la Troïka sortante et de la présidence de la République vis-à-vis du Qatar. Au point d'abriter le sommet dit des amis de la Syrie et de s'empresser de rompre les relations diplomatiques millénaires avec Damas. Sans parler de l'encouragement non déguisé de nos jeunes, par des dirigeants de la Troïka, pour les embrigader au jihad en Syrie et en faire une chair à canon dans un conflit scabreux et particulièrement sanguinaire. Mehdi Jomâa est prévenu. Ce ne sera guère une promenade de santé. La logique du donnant-donnant primera. Et la visite au Golfe pourra bien être assimilée dès lors à un chemin de croix. A ses risques et périls.