Les avancées en matière de développement de proximité seront le garant du succès ou de l'échec du gouvernement De nombreux obstacles se sont opposés à la concrétisation d'un certain nombre de projets de développement dans les régions intérieures du pays durant les trois dernières années. Les tensions politiques, les revendications sociales et les problèmes d'insécurité ont mis un frein au développement en retardant la majorité des projets programmés et en empêchant de nouveaux à démarrer. A bout de patience, les régions défavorisées se sont révoltées, tour à tour, et les gouvernements provisoires successifs ont fait ce qu'ils ont pu sans réussir à concrétiser leurs promesses, parmi lesquelles la réduction du chômage et de l'écart en termes de développement et de richesses entre les régions. L'actuel gouvernement de compétences n'est pas en reste et il paraît évident que, dans le contexte actuel de crise économique aiguë, toute initiative, de la société civile en l'occurrence, aidant à mieux cibler les contraintes ainsi que les éventuelles issues, serait la bienvenue. Agriculture à sec et tissu industriel peu diversifié C'est le cas de la journée d'étude organisée, le 22 mars 2014, au siège de l'ENA, par le Centre de réflexion stratégique pour le Nord-Ouest, plateforme de débats et de rencontres entre experts et compétences de tout bord originaires de cette région. Cette rencontre a offert l'occasion à de hauts cadres et responsables d'exposer l'état des lieux des projets en souffrance ou programmés pour 2014 dans le Nord-Ouest et de débattre des perspectives du développement régional dans cette région qui couvre quatre gouvernorats — Béja, Jendouba, Le Kef et Siliana —, soit 10,8% de la superficie du territoire et 11,3% de la population tunisienne. Malgré des ressources naturelles abondantes, des sites archéologiques notoires, une infrastructure de base s'étendant sur 5.800 km, la présence d'un aéroport (Tabarka), des pôles universitaires accueillant 20 mille étudiants et un réseau de centres de formation professionnelle, l'économie au Nord-Ouest se base essentiellement sur l'agriculture, agriculture à sec précisément, et l'élevage non intensif. Des activités étroitement dépendantes des conditions climatiques malgré l'importance des ressources hydriques mobilisées et des terres cultivées en irrigué. Autre contrainte: l'érosion et le manque de structures de groupements des agriculteurs ainsi que des programmes de valorisation et de commercialisation de leurs productions. La région se caractérise également par un faible tissu industriel, surtout dans les secteurs à plus-value économique comme l'agroalimentaire et les TIC. Le tourisme et l'artisanat y sont aussi marginalisés. Le manque d'opportunités pour les jeunes et la difficulté des conditions de vie ont favorisé l'accroissement de l'émigration clandestine et de l'exode, laissant à l'abandon des terres vastes et fertiles. Principales contraintes : problèmes fonciers, opposition des riverains et manque de financements Outre ces contraintes structurelles, des dificultés inhérentes au climat de tensions post-révolution (insécurité, affaiblissement de l'administration, grèves, sit-in) ont eu un impact négatif sur les projets publics, la plupart avancent difficilement, d'autres sont bloqués et d'autres encore n'arrivent même pas à démarrer. Les secteurs concernés sont essentiellement l'infrastructure de base (routes, pistes agricoles, ponts) et l'accès à l'eau potable. Les principaux motifs avancés par M. Samir Lazaar, chef de cabinet du secrétaire d'Etat au Développement et à la Coopération internationale, au cours de la journée d'étude, sont des problèmes fonciers, l'opposition des citoyens (riverains) à la réalisation de certains projets, le manque de financements et/ou le désistement des entrepreneurs de travaux en raison notamment de l'absence de main-d'œuvre. Statistiquement parlant, dans le gouvernorat de Béja, 15 projets sont en difficulté sur un total de 288, dont seuls 45 ont été réalisés et 222 en cours d'exécution. Le coût de ces projets en souffrance est de 25MD, soit 4, 26% du coût total des projets publics prévus dans le gouvernorat de Béja (586 MD). Six projets n'ont pas encore démarré. Au gouvernorat de Jendouba : 67 projets sont en difficulté pour une enveloppe de 87MD. La totalité des projets engagés est au nombre de 475, dont 66 au titre de 2013. En tout, 93 projets ont été réalisés et 152 en cours d'exécution. Les principales contraintes sont la lourdeur administrative, les problèmes fonciers, l'opposition des citoyens, le retard des financements ou la non-contribution des municipalités dans l'exécution. Au gouvernorat du Kef : 26 projets en difficulté (15,8MD) sur 629, dont 160 programmés au titre de 2013. Les projets en difficulté concernent notamment la réfection des routes, des travaux d'aménagement pour l'accès à l'eau potable et l' aménagement d'une zone industrielle. Gouvernorat de Siliana : 18 projets en souffrance (61 MD) sur 467 projets dans le gouvernorat (401 MD), dont 75 introduits au titre de 2013 (61MD). Six projets n'ont pas encore démarré. Miser sur la micro-finance et le développement de proximité Prévisibles, les recommandations des experts ont proposé le renforcement de l'infrastructure routière et ferroviaire pour attirer les investissements ainsi que le transport collectif urbain et rural, l'encouragement de la décentralisation et de la démocratie participative, la mise en place d'un système statistique régional et local. Autres orientations : la multiplication des équipements collectifs et les différents mécanismes de fixation des populations autochtones. «C'est cela qui va être comptabilisé par les Tunisiens à la fin du mandat du gouvernement; les réalisations en termes de développement de proximité seront le garant du succès ou de l'échec», affirme le Gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, originaire de Makthar et membre fondateur du Centre de réflexion stratégique pour le Nord-Ouest. Et le Gouverneur d'ajouter : «Nous sommes à l'ère de la micro-finance, celle-ci doit être encouragée et diffusée partout dans le pays pour financer de petits et moyens projets; c'est ainsi que nous pourrons créer des richesses et réduire le chômage à plus ou moins court terme». Depuis sa création en 2011, le Centre s'est voulu une force de propositions en matière de développement du Nord-Ouest et de soutien aux cadres et dirigeants en exercice, même si ses initiatives, multiples, «n'ont pas eu un réel impact sur l'avancement des projets ni la prise en compte de leurs nombreuses recommandations dans l'élaboration des programmes», avance M. Kamel Ayadi, un des fondateurs du Centre et son actuel président. Et de poursuivre : «Bien que le développement soit le souci de tous les gouvernements, surtout celui des régions intérieures, aucun dialogue national sérieux sur le développement régional n'a pu être engagé. Aujourd'hui, avec un gouvernement de compétences indépendantes, nous avons plus d'espoir». M. Kamel Ayadi ne cache pas pour autant ses craintes basées sur un double constat : «Les recettes fiscales en 2010 suffisaient pour financer notamment les salaires et le fonds de compensation; aujourd'hui, celles-ci ne dépassent pas 17 milliards de dinars alors que nous en avons besoin de 28». Par ailleurs, «40% de la superficie du Nord-Ouest sont recouverts de montagnes et de forêts qui sont devenus le fief des terroristes». Sommes-nous plus éloignés des objectifs de la révolution ?, s'interroge encore l'expert.