« Ces chambres sont assimilées aux tribunaux spéciaux dont la Constitution a interdit la création » L'appel par les constituants à la création de chambres judiciaires spécialisées qui auront à rejuger les caciques du régime de Ben Ali qui viennent d'obtenir des jugements considérés comme cléments, voire insignifiants, au regard des crimes qui leur sont reprochés, est-il compatible avec l'esprit de la Constitution du 27 janvier 2014 ? C'est la question que La Presse a posée aux professeurs de droit public Abdelmajid Ibdelli et Saloua Hamrouni en vue d'éclairer l'opinion publique sur la polémique ayant accompagné les jugements rendus, samedi dernier, dans l'affaire des martyrs de la révolution. C'est la justice de Ben Ali qui a parlé Le Pr Abdelmajid Ibdelli souligne : «De prime abord, il faut dire que, dès le départ, nous étions sur un chemin erroné puisqu'on s'est basé sur l'article 22 de la loi en date de 1982 relative au régime juridique des forces de sécurité intérieure. Le texte était applicable dans une situation ordinaire alors que, dans la révolution, tout a changé. Les affaires des martyrs de la révolution ne devaient pas être déférées devant les tribunaux militaires, dans la mesure où ces derniers sont incompétents et incapables de statuer sur ce genre d'affaires. Malheureusement, on a choisi ces tribunaux et aujourd'hui on est obligé de déclarer sans ambages : c'est la justice de Ben Ali qui a parlé». «Maintenant, on cherche au sein de l'ANC, qui n'a rien fait pour annuler les textes incompatibles avec la Constitution, à créer des chambres judiciaires spécialisées. Ce genre de chambres sont assimilées, qu'on le veuille ou pas, aux tribunaux spéciaux dont la Constitution a interdit la création», ajoute-t-il. Les caciques de Ben Ali, peuvent-ils être rejugés ? «Oui, répond le Pr Ibdelli. Leur rejugement est possible dans le cadre du processus de révision des jugements qui est de la compétence des mêmes tribunaux militaires». Une seule issue juridique De son côté, la Pr Saloua Hamrouni estime que la création de chambres judiciaires spécialisées «est possible uniquement dans le cadre de la justice transitionnelle. D'où la nécessité de procéder à l'amendement de la loi organique portant création de l'instance Vérité et Dignité qui n'a pas prévu une telle solution». Sur le plan constitutionnel, elle relève : «La Constitution du 27 janvier 2014 interdit la création de tribunaux d'exception (même si les constituants les appellent chambres judiciaires spécialisées). En outre, la même Constitution spécifie dans les dispositions transitoires que les tribunaux militaires poursuivront leur mission». Ainsi, la bataille juridique est-elle lancée entre ceux qui sont pour le respect des décisions prises par la justice militaire, d'une part, et ceux qui sont pour l'annulation pure et simple des jugements qu'elle vient de rendre, d'autre part.