Par Hamma HANACHI L'événement est international : on en a parlé ici-même. A Tunis, il prend des proportions qui donnent chaud au cœur. La célébration du centenaire du voyage de Paul Klee à Tunis a démarré sur les chapeaux de roue. Un colloque, des spécialistes, Klee et son œuvre vus, analysés sous des angles inédits... Michael Baumgartner, directeur des collections au Centre Paul Klee à Berne, là où se trouve l'essentiel des œuvres du peintre, s'est déplacé pour présenter une brillante intervention du voyage. Il a fourni des éclairages brillants pour élargir les approches. Projection du film «Paul Klee, le voyage à Tunis», de Bruno Moll. D'autres intervenants ont évoqué la représentation mentale du paysage chez Klee, les utopies esthétiques, les tapis et klims qui auraient inspiré l'artiste, etc. Le lendemain, à Cherif Fine Art, Sidi Bou Saïd, afflux des grands jours : diplomates, aux premiers rangs desquels les ambassadeurs d'Allemagne et de Suisse, la directrice du Goethe Institut, cheville ouvrière de l'opération, des journalistes d'Autriche, d'Allemagne, de France et de Suisse, venus en groupe découvrir une exposition originale : photos de voyage jadis et maintenant. Les œuvres ne voyagent pas beaucoup, des précautions nombreuses sont prises pour un voyage. Deux noms, Gabrielle Münter, compagne de Vassily Kandinsky (1866-1944), sur lequel on reviendra plus loin, et August Macke, le peintre qui a accompagné Klee dans son voyage... Münter est arrivée 10 ans plus tôt que Klee, Macke et Moilliet, équipée de son appareil. Elle prend beaucoup de clichés, de nombreuses scènes de rue, des personnages, des hommes, bien sûr, debout ou assis, des places mi-désertes, d'autres animées, des étals, l'agitation d'un marché, une atmosphère laborieuse, des portraits, des ruelles de la Médina et des arcades. Tunis, ses couleurs, ses moyens de locomotion, ses quartiers, ses maisons. Münter a capté, à plusieurs reprises, des scènes sous le même angle. Ce qui laisse croire que beaucoup de photos sont des travaux préparatoires pour une utilisation en peinture. Kandinsky en fera un usage original. Hiver 1915, le couple habite, notamment, l'hôtel de France, dans le quartier moderne. Il ne sort pas beaucoup à cause du froid. Cet hôtel, situé du côté du Marché central de Tunis, existe encore. Aucune plaque ne l'indique. Il faut croire que les autorités de tutelle prêtent peu ou pas d'attention à ces détails de la vie culturelle. Comment de telles occasions de conférer une plus-value à notre patrimoine échappent-elles à l'attention des édiles ? A-t-on conscience que la ville a une mémoire qu'il faut promouvoir ? Les photos d'August Macke ont moins de prétention. Son album contient des clichés instantanés, mais cela nous renseigne sur le voyage. L'appareil photo passe de main en main, Moilliet prend Macke en gros manteau sur le bateau venant de Marseille. Celui-ci saisit Klee enlevant sa chaussure à Saint Germain (Ezzahra), Macke sur un transat, un caravansérail, des portraits, une fille en sefsari, un jeune homme souriant, des enfants bergers, des ruelles, Macke et Klee devant la mosquée du Barbier à Kairouan, etc. Dans la même exposition, la Tunisie sous l'œil de deux jeunes photographes, Wassim Ghozlani, Tunisien né en 1986, et Florian Schreiber, Allemand né en 1963. Le premier a parcouru le pays pendant 3 ans. Il a choisi une démarche précise, des clichés fidèles à la réalité, sans manipulation, sans artifice et autres procédés techniques. Une série intitulée Postcards From Tunisie montre la « vraie » Tunisie et ses valeurs. Là où les habitants ne perçoivent qu'un quotidien indigne d'intérêt, affirme-t-il. Le deuxième, sur proposition du Goethe Institut, a refait le Voyage des 3 artistes, Tunis, Hammamet, Sidi Bou Saïd, Ezzahra et, bien sûr, Kairouan. Des photos numériques de la gare de Hammamet, le squelette d'un hôtel, des fleurs jaunes, une vue générale de Kairouan, la mosquée du Barbier, les souks, etc. Où l'on confronte le développement des villes, des paysages, des costumes, des hommes entre 1914 et 2014. A la clé, succès et retombées médiatiques : l'effet Klee est porteur. Deux jours plus tard, à l'Espace Sadika (Gammarth), vernissage de deux expositions, l'une proposée par des artistes contemporains, 6 projets réalisés par 7 artistes inspirés par le voyage de Tunis, l'autre consacrée aux tapis et klims exécutés par des artisanes regroupées dans l'association « Femmes, montrez vos muscles », de Sadika Keskès. Beau temps, public nombreux, musique, fête et discussions autour de l'art. Rencontre avec des journalistes étrangers venus couvrir l'événement. Ils sont ravis, nous apprennent qu'une fournée d'articles a paru sur l'année Klee en Tunisie. Réjouissant ! L'Ontt a jugé utile d'inviter les journalistes culturels pour découvrir ce qu'il est difficile de réaliser dans un circuit de tourisme de masse. Tourisme culturel ? Klee en est une locomotive à grande vitesse, il suffit d'arrimer les wagons, qui ne manquent pas.