Autour des similitudes entre certaines œuvres de Paul Klee et des tapis et des kilims traditionnels tunisiens, fabriqués par les femmes de Foussana, Sidi Bouzid et Kasserine «La couleur me possède. (...) La couleur et moi sommes un. Je suis peintre», note le célèbre peintre allemand Paul Klee dans son Journal le 16 avril 1914, en Tunisie. On peut donc dire que c'est en Tunisie que Paul Klee prit conscience de sa destinée, de l'importance de la couleur et du chemin vers l'abstraction qui lui restait à parcourir pour devenir l'un des peintres majeurs du XXe siècle. Toujours dans le cadre des célébrations du centenaire de son voyage initiatique et fructueux en Tunisie, l'Espace d'art Sadika a organisé une exposition : «L'œuvre de Klee et le tapis tunisien». En partant de la supposition que la révélation, que Paul Klee eut à Kairouan, avait pu naître du contact de l'artiste avec les tapis et kilims tunisiens, l'artiste souffleuse de verre et designer Sadika Keskes a décidé de donner suite à cette intuition. En effet, et à l'examen, nombreux sont les indices, les correspondances et les similitudes qui montrent que — sans jamais avoir été formellement affirmée — cette hypothèse est plausible. Juste après la révolution du 14 janvier 2011 en Tunisie, Sadika Keskes a créé l'association «Femmes, montrez vos muscles» qui, en sillonnant les régions défavorisées de Foussana, Sidi Bouzid et Kasserine, incite les femmes tisserandes à se remettre au travail et à valoriser le tapis tunisien. En mettant la démarche de l'association en faveur du centenaire du voyage de Paul Klee, l'espace d'Art Sadika a regroupé conjointement, et d'une manière subtile et intéressante, des reproductions des toiles les plus célèbres du peintre allemand inspirées des tapis et kilims tunisiens. Et, inversement, des tapis fabriqués par les femmes des régions de Foussana, Sidi Bouzid et Kasserine reproduisant des œuvres de Paul Klee; ainsi que des créations originales de Sadika Kekes, librement inspirées de l'œuvre de Klee, également tissées par les femmes de son association. A travers cette exposition, on a pu redécouvrir l'auteur de toiles riches en matières et en couleurs, vives en émotions, dont le travail interroge autant par la forme que par la couleur et ne laisse jamais indifférent. Une énergie de vie, à l'origine de chaque toile, contribuant à la naissance d'une œuvre unique et sensible. Son œuvre est une célébration généreuse de la couleur et de la matière. Il a trouvé matière dans notre pays, il a puisé dans son répertoire graphique et naturel ainsi que dans la richesse et l'originalité graphique contenues dans le klim. Il a pu l'utiliser - comme on l'a pu remarquer à travers les similitudes entre les deux - dans des compositions où se mêlent textures et transparence, luminosité et scintillement, sensations abstraites et représentations figuratives. Les formes appellent des formes et des sensations dans des créations rigoureuses et décoratives, où l'harmonie et la finesse font de ces œuvres qui dialoguaient entre elles une ouverture sur le monde. Un espace où se côtoient les civilisations et les cultures. De toutes dimensions, les pièces tissées à la main témoignent d'un art millénaire raffiné. Sur un bel ouvrage à point noué ou encore en brochage à trame flottante, on retrouve une étrange sédimentation de la mémoire antique, de signes rupestres, de réminiscences orientales mettant l'accent sur ce goût du peintre pour la culture arabo-berbère. Le parcours de l'exposition, qui s'étale sur deux espaces de la galerie, est enrichi de livres autour de Paul Klee et sa démarche artistique. L'exposition est accompagnée de la présentation d'un beau livre rehaussé de couleurs et d'illustrations avec des textes de Jean Lancri et Alain Nadaud.