Sofiène Safta et Walid Essoussi se sont associés dans un spectacle musical qui pouvait à première vue intriguer, dans la mesure où le premier est un guitariste qui verse beaucoup dans le style occidental, et que le second est un spécialiste de musique douce et de sérénades. El Teatro était plein à craquer vendredi soir, avec une présence qualitative où on reconnaissait des artistes, des musiciens et des amis des deux vedettes. Sur scène, cinq instrumentistes les accompagnaient : un orgue, une flute, une percussion, une guitare basse et une batterie. Au-devant de la scène est exposée la fameuse double-guitare rouge de Sofiène, exceptionnelle dans sa forme et les sons qu'elle émet. Des hommages touchants Pour commencer, nous avons eu droit à un chant soufi intéressant, avec la voix de Khalil Doghmen, fils de si Taoufik Doghmen, dont le nom est étroitement lié à ce genre fort apprécié. La différence est qu'il est interprété sur un fond musical occidental, ce qui lui a donné un goût de modernité à la manière de certains chants turques. Après cet hommage au chant religieux, Sofiène salue son maître Atef Lakhoua, qui a fait vibrer la salle avec son jeu à la guitare électrique, surtout dans ce fabuleux morceau de «Santana», repris par Gary Moore que nous ne cessons d'écouter avec un plaisir sans égal. L'élève et le prof s'en sont donné à cœur joie, à faire exploser la salle. Quant à Walid, il a rendu hommage au compositeur-chanteur Mohamed Sassi, décédé dernièrement et dont on célèbre ces deux jours le quarantième. La chanson choisie est celle de Oulaya : «Khalli ikoulou ech ihim, milli yochkor walla idhim !». Le compositeur prouvait avec cette chanson son côté avant-gardiste, car les rythmes tranchaient avec la musique qu'il interprétait le plus souvent, à savoir celle de Mohamed Abdelwahab. Hommage touchant car cet artiste, loin des feux de la rampe, excellait dans le chant comme dans la composition. Hédi Jouini n'a pas manqué à l'appel dans cette soirée très amicale : «Hobbi yetbaddel yetjadded», et nous savons combien cet artiste exceptionnel a rapproché l'occidental de notre musique bien orientale, en étant très proche des chanteurs de flamenco qui jouaient au Tunisia Palace, à proximité du Palmarium. Il s'abreuvait tous les soirs de ces mélodies si proches de notre histoire. Au groupe se sont ajoutées deux jeunes lycéennes pour l'interprétation vocale. Dans la salle, Hichem Nagati n'a pu quitter sans monter sur scène et sans se défouler dans «Lamouni elli gharou minni». Un autre hommage était rendu au groupe «Al hamam el bidh », connu depuis plus de trente ans pour ses chansons engagées. Sofiène en faisait partie jusqu'en 2002. Cette année-là, il eut l'occasion de fêter avec eux le vingtième anniversaire. Sur scène, Zakaria, membre de ce groupe, étonna par son jeu au violon qu'il «malmena» dans tous les sens avec une folie enivrante. Le dernier artiste chanté : Sadok Thraya, dans «Ki idhik bik eddahr ya méziéna» . Que reste-t-il de «Massarat» ? D'abord, nous pensons toujours que c'est bien les reprises, mais il est encore plus utile et plus louable de créer. Car, de nos jours, c'est la création qui manque le plus. Sofiène a, certes, interprété deux ou trois chansons au thème humaniste cher à cet artiste doux et ouvert, mais il faut faire appel à plus de textes nouveaux dans le genre qu'il aime. Ensuite, cette association Walid- Sofiène, musicalement, n'est pas à la faveur du premier, car elle ne met pas en valeur tout le plaisir qui sort de son violon. L'orgue étouffe cet instrument merveilleux avec lequel Walid, d'habitude, interprète ses succulentes sérénades. Le problème concerne l'absence de moments plus doux dans ce spectacle, sans l'agressivité du piano électrique. On imagine un dialogue entre la guitare (sèche) et le violon, à la manière de la musique du film «Délivrance». Ce spectacle est donc perfectible : sa conception doit être revue pour lui donner la qualité de «création musicale». D'ailleurs, dans le cadre de cet élan du pays pour faire connaître nos particularités aux étrangers, il peut servir bien plus que le petit spectacle banal et répétitif de ces deux danseuses du ventre accompagnées d'une darbouka dans les hôtels et dans les manifestations internationales. Il n'en reste pas moins vrai que l'effort des deux artistes et surtout celui de Sofiene Safta, qui investit dans son art avec beaucoup d'abnégation, est à louer et à encourager. Ils utilisent en effet un langage universel pour faire connaître un aspect de notre ouverture sur le monde musical, avec une passion illimitée.