N'a-t-on pas dit un jour que «le génie est donné au talent et que le talent est rare?». Le talent, c'est lui: un artiste hors pair qui a constamment fasciné par la profondeur de sa musique et par sa folie, qualité des grands. Avec Aghani El Hayet ( les chants de la vie), Ridha Chmak a brillamment assuré, avant-hier, l'ouverture essentielle du Festival de Carthage en présence d'un public nombreux, assoiffé de bonne musique, ainsi que de celle du ministre de la Culture qui était accompagné de son homologue algérienne. 21h30, l'artiste fait son entrée sur une scène majestueuse, laissant entrevoir en arrière-plan des arbres caressés par une brise bienvenue et des murs qui racontent silencieusement l'histoire de l'endroit. Le parvis du musée de Carthage était déjà assailli par des mélomanes en quête d'un art qui intrigue et fascine, un art qui envoûte et interpelle. Sur scène, une équipe jeune et enthousiaste avait déjà pris place, prête pour la grande démonstration. Décor, lumières, répartition de l'espace, le tout formant un tableau joyeux... vivant. Le public observe, attend et s'attend à une nuit d'été inoubliable. Vêtu de blanc, tel un «messie» sur le point de dévoiler son message, le maestro salue à sa manière l'auditoire avant d'entamer le jeu. La jeune Asma Ben Ahmed donne le ton par Yatiro'l hamamou (les pigeons s'envolent), texte de Mahmoud Darwich et musique de Ridha Chmak. Rafraîchis par cet air de liberté soufflant sur la scène, les musiciens parviennent vite à capter l'attention des spectateurs, les mettant dans l'ambiance d'un grand spectacle où les notes révèlent, en les accompagnant, les mystères de la poésie. Guitare, violon, orgue, violoncelle, flûte, synthétiseurs, les sons se mélangent et les voies s'élèvent en chœur composant une symphonie admirable. Tout était là pour offrir au public un spectacle digne d'une ouverture de Carthage. Des textes intenses de Darwich et des mélodies inclassables de Ridha Chmak pour des mélomanes au raffinement du goût manifeste. Azzinbakat assoud (les tulipes noires), Mahma Yakon (quoi qu'il arrive) et Marra'l kitarou (le train est passé) chantées par Raoudha Ben Abdallah, Fakker bighayrek (pense à l'autre) par Asma Ben Abdallah, de grands textes du poète palestinien qui ont parfaitement épousé les mélodies du compositeur vedette de la soirée, suscitant émerveillement, applaudissements et même ovations. D'un morceau à l'autre, les notes s'enchaînent sans se ressembler. Des phrases musicales dont seul Chmak a le secret caressaient les oreilles, dorlotaient les âmes et invitaient les mélomanes à un voyage jusqu'au bout du plaisir. Franchement, on ne peut classer les œuvres de cet artiste, car tout est là, l'Orient comme l'Occident, le manifeste comme le symbolique. La virtuosité des musiciens n'a d'égale que leur précision, face à un maestro qui s'est déchaîné sur scène tel un cygne survolant l'espace d'un opéra. En cette soirée inoubliable, le public a eu ren- dez-vous avec l'histoire sur un double plan. Le lieu qui a accueilli le spectacle et le sujet autour duquel ont été orchestrées les chansons, à savoir Les chants de la vie. D'ailleurs, les plus grands moments du concert ont été constitués de, notamment, Horria (liberté) et Iîtissam… iîtissam (sit-in), textes et musique de Ridha Chmak et interprétation du jeune et talentueux Walid Mzoughi. La scène a été encore davantage ébranlée quand le maestro a fait face au public pour chanter Addiko (le coq), de Nizar Kabani, dont il a modifié des passages pour dénoncer un président «qui a ravagé toute une patrie et mutilé tout un peuple».