Par Hmida BEN ROMDHANE En politique, il arrive que des pyromanes, consternés face à l'étendue du désastre qu'ils ont provoqué, se terrent quelque temps avant de revenir sur scène, déguisés en sapeurs-pompiers, donnant conseils et recommandations sur la meilleure manière d'éteindre les incendies qu'ils avaient allumés au moment où ils étaient aux commandes. Cette image vient inévitablement à l'esprit quand on entend le discours prononcé par l'ancien Premier ministre britannique, Tony Blair, le mercredi 23 avril, au siège londonien de Bloomberg, le groupe américain spécialisé dans l'information économique et financière. Le long discours de M. Blair est exclusivement réservé à l'Islam politique dont il a dénombré et dénoncé les dangers grandissants qui, selon lui, ne menacent pas un ou deux pays ni un ou deux continents, mais le monde entier. Ecoutons cet extrait du discours de 5.000 mots prononcé par Tony Blair : «A l'origine de la crise se trouve une vision radicalisée et politisée de l'Islam, une idéologie qui déforme et pervertit le véritable message de l'Islam. La menace de l'Islam radical n'a pas faibli. Elle est de plus en plus importante. Elle se répand à travers le monde. Elle déstabilise les communautés et même les nations. Elle sape la possibilité de la coexistence pacifique dans une ère de mondialisation. Et nous semblons curieusement réticents à reconnaître cette menace et impuissants à la contrer efficacement...». M. Blair ne s'est pas contenté de diagnostiquer le mal. Son diagnostic semble l'avoir terrifié au point qu'il a appelé de manière pathétique à l'union de la Chine, de l'Inde, de la Russie, des Etats-Unis, des pays européens, du monde entier contre la déferlante de l'Islam radical. Il préconise une aide économique et sécuritaire qui « remettrait la Tunisie sur pied»; il soutient de toutes ses forces le gouvernement actuel en Egypte et considère que « la révolte du 30 juin 2013 n'était pas une protestation ordinaire, mais une nécessité absolue de sauver la nation » ; il se lamente face au « désastre absolu » qui se poursuit en Syrie, et estime que « le seul moyen est d'arriver à conclure le meilleur accord possible, même si dans la période intérimaire Al Assad resterait encore au pouvoir pour quelque temps»; il ne nie pas la responsabilité de l'Occident dans ce qui se passe en Libye et recommande une aide pour ce pays de la part de l'Otan «qui a les moyens d'aider »... L'ancien Premier ministre britannique semble être dans la disposition psychologique du pyromane consterné par l'étendue du feu qu'il a contribué à allumer, qui se mêle à l'armée des sapeurs-pompiers et se découvre des talents de stratège d'envergure internationale dont le souci unique est d'assurer la paix entre les nations. Dans son discours, M. Blair confond les causes et les conséquences, il manipule les faits. Par cette manipulation des faits, il tente désespérément de faire oublier sa responsabilité et celle de son ami Bush dans l'anarchie terrifiante qui secoue de nombreux pays arabes. S'il voulait être juste et honnête, M. Blair aurait dû dire : «A l'origine de la crise, se trouve la destruction du régime irakien» que lui et son ami Bush, en 2002-2003, avaient effectivement tout fait pour détruire, y compris le recours aux mensonges les plus éhontés et les plus ridicules. Car un politicien aussi chevronné que Tony Blair ne peut pas ne pas se rendre compte au fond de lui-même que le régime de Saddam Hussein était un rempart solide que l'Islam politique radical avait tenté pendant des années de franchir, en vain. Il a fallu le dynamitage de ce rempart par le couple Blair-Bush pour que la déferlante de l'Islam politique radical envahisse l'Irak et condamne sa population à une descente aux enfers qui dure depuis plus de onze ans. C'est la destruction du barrage irakien qui a ouvert la voie au terrorisme islamiste et qui lui a permis de s'étendre telle une traînée de poudre dans le monde arabe. Ce qui nous arrive aujourd'hui a commencé à une date très précise : le 9 avril 2003, le jour de la chute de Bagdad. Les conséquences de cette catastrophe ont dépassé les prévisions les plus pessimistes. Politicien chevronné ayant gouverné la Grande-Bretagne pendant une longue décennie, M. Blair ne peut pas ne pas faire le lien entre la journée noire du 9 avril 2003 et le déferlement sans précédent du terrorisme islamiste. Le discours qu'il a prononcé chez Bloomberg trahit les remords indicibles qu'il vit avec depuis 2003 et qu'il n'a pas le courage d'exprimer en public. Ce discours sonne comme un exercice thérapeutique par lequel M. Blair tente d'alléger l'intensité des remords qui le torturent depuis onze ans. Car, qu'il le veuille ou non, chaque victime qui tombe en Irak (des dizaines tombent chaque jour depuis onze ans), rappelle à M. Blair les mensonges qu'il a tissés en 2002-2003 avec son ami Bush en vue de détruire gratuitement l'Irak. Aujourd'hui, grâce au couple Blair-Bush, le monde arabe dans son ensemble est menacé de destruction.