Par Ezzeddine ZAYANI (*) Les statistiques officielles et officieuses fusent de partout mais elles sont incomplètes, variant du simple au double. Les professionnels du secteur de l'enseignement privé secondaire et supérieur parlent de plusieurs dizaines de milliers d'élèves et d'étudiants répartis inéquitablement sur de nombreuses institutions secondaires et universitaires, dont plus de 8 mille Africains venus chercher un enseignement et une formation de qualité. Trois bonnes années se sont écoulées depuis que les Tunisiens ont décidé un 14 janvier 2011 de tout changer et de chasser tout ce qui entrave leur marche vers le progrès et la prospérité. Malheureusement, durant les trois années écoulées, des secteurs clés de l'économie tunisienne ont enregistré une certaine régression inquiétante ou une stagnation coûteuse. Le secteur de l'enseignement privé qui a démarré timidement au début des années 60 avec la Tunisie indépendante et sur lequel de grands espoirs avaient été placés, particulièrement grâce aux initiatives individuelles de quelques pionniers dans le secteur qui sont allés chercher seuls des étudiants africains, ce secteur s'essouffle et bat de l'aile (enseignement secondaire) ces derniers temps au grand désarroi des professionnels et pour le bonheur des pays concurrents de la Tunisie, qui ne cessent de rafler la mise africaine. Un secteur d'avenir, oui-mais L'enseignement privé, jadis synonyme d'échec et de récupération des marginaux de l'enseignement public, est en passe de devenir la solution idoine à un retrait progressif de l'Etat du secteur de l'enseignement, ne serait-ce qu'en partie suite aux pressions budgétaires tous azimuts. Nonobstant les progrès palpables dans le secteur de l'enseignement privé par le nombre toujours croissant des élèves admis au baccalauréat national et français ainsi qu'aux différents concours d'entrée à de nombreuses universités de renom, il n'en demeure pas moins que de nombreuses servitudes persistent et risquent, si elles demeurent sans solution, de mettre en péril les acquis d'un secteur qui rend d'éminents services à l'Etat tunisien, que ce soit par l'absorption des élèves et étudiants préférant l'enseignement privé ou par l'entrée de devises en provenance des inscriptions d'étudiants étrangers dans nos universités privées. Le carcan administratif Les textes régissant le secteur de l'enseignement privé en Tunisie nécessitent une révision urgente pour accompagner l'évolution du secteur et aussi pour ne pas décourager les plus hardis, pour ne pas dire les plus téméraires parmi les investisseurs tunisiens intéressés par l'enseignement privé. A ce propos, il semblerait que les textes élaborés par le ministère de l'Education lors du règne du président déchu pour faire plaisir à la famille régnante de l'époque qui voulait inféoder le secteur de l'enseignement privé et assouvir sa rancœur et sa haineuse vengeance à l'égard de quelques propriétaires d'institutions d'enseignement privé qui refusaient le diktat de cette famille, curieusement ces textes vexatoires et coercitifs qui ouvrent la porte à toutes les formes de l'arbitraire seraient toujours en vigueur et l'administration actuelle les utiliserait comme une épée de Damoclès contre les professionnels. Ces textes de Ben Ali qui avaient acculé Boussairi Bouebdelli à mettre la clé sous le paillasson doivent être abrogés au plus vitepour mettre fin à toute velléité de corruption ou de clientélisme. Certes, les deux nouveaux ministres du gouvernement Mehdi Jomâa, concernés par le dossier de l'enseignement privé, en l'occurrence les ministres de l'Education et de l'Enseignement supérieur semblent avoir saisi à juste valeur l'importance de la question de l'enseignement privé. Les deux ministres qui ont changé leur chef de cabinet respectif, ont ouvert les portes de leurs départements pour écouter les professionnels qui demandent entre autres une véritable purge dans les différents rouages de l'administration à quelque niveau que ce soit, afin de mettre fin à toute forme d'excès. Les professionnels affirment avoir subi, ces trois dernières années, des pressions de la part de l'administration de tutelle qui rappellent l'ère Ben Ali : des instructions coup de poing, un clientélisme à outrance et surtout des prises de décisions expéditives avec à la clé des retraits de «licence» à une institution d'enseignement privé en pleine période d'examen de fin d'année. Il est grand temps de faire le ménage pour permettre au secteur de faire face à la rude concurrence étrangère. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui c'est à une asphyxie programmée d'un secteur susceptible de prêter main-forte à l'économie du pays. Pour une véritable relance du secteur C'est une véritable dichotomie à laquelle professionnels et administration de tutelle font face. En effet, le secteur de l'enseignement privé est un secteur prometteur ne serait ce que vis-à-vis du marché africain très demandeur du know how tunisien. En la matière, de nombreux Etats francophones africains n'ont pas actuellement les moyens logistiques pour mettre sur pied un système d'enseignement répondant à leurs besoins. Ces pays africains préfèrent envoyer leurs élèves et étudiants ailleurs pour se former et rentrer par la suite pour assurer la relève et gérer les affaires du pays. Il devient par conséquent impérieux que l'administration de tutelle, ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur, ouvre sérieusement le dossier de l'enseignement privé et révise la vision concernant ce secteur qui a besoin d'une nouvelle architecture conceptuelle avec de nouveaux textes émulatifs qui boostent le secteur et qui lui donnent de nouvelles ailes et une nouvelle dimension. L'implication des professionnels dans la recherche d'une nouvelle vision est plus que recommandée. Cette recherche peut faire l'objet d'un conclave réunissant tous les protagonistes sous la houlette de l'Utica et des ministères concernés. La Tunisie et malgré le retard enregistré par rapport à ses concurrents marocains et turcs du fait de la période de la transition politique, possède encore de nombreux atouts qu'elle peut faire prévaloir. La réputation de l'enseignement privé, surtout universitaire, est intacte en Afrique au grand dam de ceux qui insinuent le manque de sécurité chez nous. Nos frères africains estiment à juste titre d'ailleurs que notre pays est en mesure de leur offrir ce dont ils ont besoin en matière de formation. Ils sollicitent de plus en plus et avec force que la Tunisie ouvre ses portes aux africains à la recherche d'un enseignement de qualité. Les expériences malheureuses subies par de nombreux étudiants africains chez les concurrents de la Tunisie avec leurs lots d'inexpérience, d'absence d'encadrement et surtout de refus d'intégration et de marginalisation de l'étudiant africain, prédisposent notre pays et le qualifient à jouer les premiers rôles dans ce domaine et à faire de la Tunisie la destination du savoir par excellence. En définitive, le secteur de l'enseignement privé en Tunisie mérite une attention particulière, surtout qu'il fait de plus en plus l'objet de convoitises internationales par des multinationales qui cherchent à s'implanter chez nous pour accaparer une part d'un marché juteux. Les risques de l'arrivée des requins sont connus et c'est à l'administration de tutelle d'assumer pleinement ses responsabilités. (*)Ancien ambassadeur