La période de grâce ayant vécu, politiciens et acteurs de la société civile somment le chef du gouvernement de mettre en œuvre les grandes réformes que tout le monde attend Il est de tradition que les bilans des gouvernements sont dressés cent jours après leur formation et leur entrée en fonction. Qu'en est-il du gouvernement Jomâa qui vient de boucler ses cent jours ? A-t-il été à la hauteur de ses engagements contenus principalement dans la feuille de route issue du Dialogue national sur la base de laquelle il a été désigné ? A-t-il introduit une nouvelle donne sur le paysage politique national, surtout que la majorité de ses membres n'ont pas occupé auparavant des postes de responsabilité et ont résidé et travaillé longtemps dans des pays (Europe, Amérique, etc.) où les mœurs politiques et la gestion des affaires de l'Etat sont différentes de celles auxquelles les Tunisiens sont habitués ? Autant d'interrogations que La Presse a soumises à l'appréciation de certains acteurs du paysage politique et civil national parmi ceux qui suivent l'évolution de la vie politique et attendent «avec impatience, comme ils le soulignent, la fin de la troisième étape transitoire et l'organisation des élections présidentielle et législatives dans les délais impartis par la Constitution, soit avant fin 2014». Jomâa est bien dans son rôle Lazhar Akremi, membre du bureau exécutif de Nida Tounès, précise : «De prime abord, il ne faut pas oublier que le gouvernement Jomâa est le gouvernement du consensus issu du Dialogue national. Partant de là, nous sommes dans l'obligation de le soutenir même si nous reconnaissons qu'il peine encore à décoller et à prendre les mesures nécessaires lui permettant d'honorer pleinement les engagements qu'il a pris. Et il est utile de rappeler l'essentiel de ces engagements. Il s'agit de préparer le champ à des élections transparentes et démocratiques en créant un climat électoral propice sans violence et avec une administration réellement impartiale». «Malheureusement, ajoute-t-il, l'on remarque une grande lenteur au niveau de la concrétisation de ces objectifs. En faisant le compte des délais qui nous séparent encore de la date des élections, l'on se rend compte qu'il reste beaucoup à faire. Au cours des cent derniers jours, les membres du gouvernement Jomâa ont réussi à cultiver beaucoup d'espoir et d'optimisme auprès des Tunisiens. Il reste qu'il n'y a pas d'acquis palpables que l'on pourrait accorder à cette équipe». Lazhar Akremi reconnaît, tout de même, que «Jomâa et ses ministres sont bien dans leur rôle et qu'ils ont tenu un langage de vérité, notamment pour ce qui est des difficultés économiques héritées des gouvernements précédents. La grande problématique qu'ils affrontent aujourd'hui est la suivante : comment peuvent-ils faire retourner les Tunisiens au travail ?». Des hésitations incompréhensibles Du côté d'Al Joumhouri, on reconnaît que «Jomâa bénéficie de la confiance des Tunisiens. Mais, ce que le gouvernement est en train de réaliser n'est pas de nature à renforcer ce précieux capital». Issam Chebbi, porte-parole d'Al Joumrouri, estime que Jomâa a réussi à s'imposer sur le plan international comme un homme d'Etat auquel on peut faire confiance. «En témoignent le soutien que lui manifestent beaucoup de pays étrangers et les ressources financières qu'il a glanées lors de son périple à l'étranger. Seulement, sur le plan national, ses pas sont encore très lents et l'on ne comprend pas toujours le pourquoi de ses hésitations. Deux dossiers méritent d'être traités sur la base d'une volonté politique claire et ferme. Il s'agit de la neutralité effective de l'administration et de la mise à l'écart des mosquées des luttes politiques, d'une part, et de la dissolution, d'autre part, des ligues de protection de la révolution», fait-il remarquer. Qu'attendre du gouvernement Jomâa, une fois qu'il a dépassé le cap des cent jours (période de grâce traditionnelle) et que les ministres commencent à maîtriser leurs dossiers ? «Au sein d'Al Joumhouri, nous attendons que Jomâa fixe une date boutoir pour le parachèvement définitif des dossiers de l'administration, des mosquées et de la violence politique. Pour ce qui est de la situation économique, nous apprécions sa franchise tout en lui rappelant qu'il est là pour trouver les solutions aux problèmes posés. Pour nous, le dialogue économique national qui se tiendra dans les jours à venir ne doit, en aucune manière, servir pour imposer des solutions préétablies. Nous sommes contre les décisions douloureuses auxquelles certaines parties appellent, plus particulièrement la révision radicale du système de la compensation vers laquelle poussent certaines institutions financières internationales peu regardantes sur le coût social d'une telle politique», conclut-il. Deux dossiers prioritaires «Il est important d'observer que Jomâa et son équipe ont réussi à envoyer des messages rassurants aux Tunisiens. Il est aussi une vérité qu'il faut reconnaître : aujourd'hui, nous avons le sentiment que les choses changent dans le pays», relève Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du travail patriotique et démocratique. «Il faut reconnaître aussi qu'il existe des indicateurs positifs au niveau du dossier sécuritaire et de lutte contre le terrorisme. Seulement, ce dossier mérite une approche globale et complémentaire. Les attentes pour la prochaine période tournent principalement autour de deux dossiers importants. «D'abord, une fiscalité juste et équitable et la résolution définitive du problème de l'économie parallèle en intégrant ceux qui y exercent et qui représentent 40% de la dynamique économique nationale. Ensuite, l'application ferme de la neutralité de l'administration et la dissolution des ligues de protection de la révolution», insiste Abderrazak Hammami. Le pays devient plus serein «On a l'impression que le pays est devenu plus serein depuis l'accession de Jomâa à la présidence du gouvernement. L'ambiance électrique et la peur de l'avenir que l'on ressentait auparavant ont disparu à la faveur d'une certaine détente et un climat de confiance et d'espoir», note Néji Jalloul, membre actif de la société civile. «Au cours de ces derniers jours, Jomâa et son équipe ont réussi à rassurer l'étranger et à lui donner une image moderne de la Tunisie. Seulement, sur le plan national, j'ai l'impression que le chef du gouvernement ne se rend pas compte de la grande marge de manœuvre que lui a accordée le Quartet. Il agit plutôt en chef de gouvernement de gestion des affaires courantes, alors qu'on attend de lui d'engager les grandes réformes. Et ces réformes doivent être mises sur pied avant les élections. Ça donnera plus de confiance et d'espoir aux Tunisiens», indique notre interlocuteur.