La Tunisie se trouve à la veille d'une période cruciale pour son avenir politique, économique, social et sécuritaire. Elle est dans l'attente de l'installation du futur gouvernement de Mehdi Jomâa et de sa capacité à se conformer aux recommandations de la feuille de route mise au point par le Quartet parrainant le dialogue national et signée par 21 partis politiques. En effet, les observateurs et tous les Tunisiens avec, sont dans l'expectative de la naissance du gouvernement, d'abord, et des premières mesures qu'il entreprendra, ensuite. Toutes les parties en présence tentent d'afficher leur optimisme en annonçant qu'elles accordent un préjugé favorable au nouveau chef du gouvernement, mais les craintes et les inquiétudes persistent quant à la réussite de cette mission à cause du flou artistique maintenu, sciemment, par les partis formant la Troïka, plus particulièrement, Ennahdha. Si, d'un côté, les partis de l'opposition expriment leur attachement, voire leur exigence, à ce que tous les points de la feuille de route soient scrupuleusement respectés, de l'autre côté, les composantes de la Troïka, et à leur tête Ennahdha, multiplient les déclarations ambigües qui risquent de faire caboter l'application stricte de l'échéancier issu du dialogue national. En effet, la feuille de route stipule, notamment, la formation d'un gouvernement restreint, composé de personnalités compétentes et indépendantes. Gouvernement qui devra être constitué dans un délai ne dépassant pas les quinze jours à partir de la date de sa nomination officielle par le président de la République et la prise de mesures urgentes en faveur du rétablissement du climat sécuritaire, de la lutte contre le terrorisme et du redressement économique. Une fois formé, il aura, également, à se pencher sur la situation du chômage et des régions défavorisées, mais il aura, surtout pour mission de tout mettre en œuvre afin de réussir l'objectif essentiel, à savoir, l'organisation dans des délais raisonnables d'élections libres, transparentes, neutres et démocratiques. Pour ce, deux grands chantiers sont à assainir : tout d'abord la révision de toutes les nominations partisanes dans les secteurs sensibles pouvant influer sur le déroulement et les résultats du prochain scrutin. On citera, plus particulièrement, les gouverneurs, les délégués, les responsables des délégations spéciales et des municipalités ainsi que les directeurs généraux des sociétés étatiques et les hauts cadres des administrations publiques. Certaines organisations indépendantes de la société civile parlaient, depuis plusieurs mois déjà, de la présence de près de 2200 Nahdhaouis, pour la plupart nommés grâce à leur appartenance partisane, à des postes clés dans l'administration publique. Ce qui est énorme et risque sérieusement de compromettre l'objectivité et la neutralité des prochaines élections. C'est dire qu'il s'agit, incontestablement d'un nœud gordien, voire d'une véritable bombe à retardement que le gouvernement de M. Jomâa devrait désamorcer au tout début de son mandat. Et les questions qui se posent sont les suivantes : réussira-t-il cette tâche qui s'annonce une des plus ardues ? Pourra t-il tenir tête au parti islamiste en démettant ces hauts fonctionnaires de l'Etat ? Et d'un ! L'autre point délicat que Mehdi Jomâa et sont cabinet sont appelés à résoudre est celui de la dissolution des ligues dites de protection de la révolution. En effet, à part certains leaders de Wafa et, à un degré moindre, du CPR et d'Ennahdha, tous les autres dirigeants de partis ainsi que des organisations de la société civile sont en faveur de l'interdiction de ces groupes, de véritables milices qui sèment la violence, la discorde et la haine là où ils passent. Ces parties estiment qu'on ne peut aspirer à un climat sain et serein pour le déroulement des campagnes électorales et des opérations de scrutin tant que ces ligues sont autorisées à imposer leur loi en toute impunité. La meilleure preuve vient d'être donnée le 17 décembre 2013 avec le défi lancé par Imed Deghij qui a annoncé qu'il allait tomber malade pour ne pas se présenter devant le juge d'instruction qui l'avait convoqué pour ce jour là. Et effectivement, au moment où il était censé se trouver chez le juge d'instruction, Imed Deghij se trouvait, plutôt, à la Kasbah pour manifester alors qu'un certificat médical était envoyé au juge qui n'était même pas présent, lui non plus ! Autrement dit, pour réussir la prochaine phase finale du processus transitionnel, consistant principalement en la réussite des élections, il est impératif de résoudre ces deux problèmes qui minent la voie dudit processus. Ce n'est pas tout. Le discours tenu par les Nahdhaouis et leurs alliés de la Troïka n'est pas clair et laisse la porte ouverte à toutes interprétations dans le but évident de semer le doute et l'incertitude dans les esprits des politiciens et de l'opinion publique, en général. Outre les réaffirmations faites par les dirigeants d'Ennahdha indiquant que l'actuel gouvernement d'Ali Laârayedh ne partira pas avant la fin du processus constitutionnel, Rached Ghannouchi, en personne, a tenu à dire que son parti n'a pas quitté et ne quittera pas le pouvoir. Selon ses termes, il continuera à l'exercer à travers l'Assemblée nationale constituante (ANC) qui restera l'autorité suprême, conformément à ce qu'on appelle la petite constitution. Or, les arrangements effectués et signés dans la feuille de route du dialogue national, contredisent et dépassent de nombreuses dispositions de la petite constitution, devenues caduques. Le hic est que cette thèse est rappelée à tout bout de champ par la plupart des membres de l'ANC et autres ministres de l'actuel gouvernement comme s'ils voulaient dire que rien n'est encore joué. Ajoutée au principe de la simultanéité obligatoire des deux processus, mentionnée par Ali Laârayedh dans sa lettre d'engagement à démissionner, cette prétendue suprématie de l'ANC constitue une autre bombe explosive posée par le parti islamiste sur le chemin du sprint final de la transition. C'est dire la complexité et la délicatesse de la situation face à laquelle se trouveront Mehdi Jomâa et son équipe gouvernementale. Auront-ils suffisamment de courage et de force de caractère pour appliquer, minutieusement, l'agenda inscrit sur la feuille de route ? L'objectif final étant de regagner la confiance de la majorité des Tunisiens, des différents acteurs politiques de la place et des hommes d'affaires, investisseurs et bailleurs de fonds. D'autre part, les analystes estiment que, du moment qu'ils étaient les premiers à se féliciter « béatement » de la nomination de M. Jomâa, Rached Ghannouchi et son parti sont logiquement appelés à être ses principaux soutiens, surtout s'il applique « religieusement » les dispositions de la feuille de route.