Après toutes les destructions entraînées durant la décennie précédente par l'intervention américaine sur le sol irakien, voilà qu'une menace, plus ciblée celle-là, vise le formidable gisement de sites et de monuments légués par le passé. Les villes irakiennes occupées par l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) font les titres de l'actualité guerrière, en particulier pour les populations déplacées ou celles qui se retrouvent sous un joug d'un nouveau genre. On oublie parfois de parler d'un autre drame : la destruction systématique du patrimoine culturel de l'ancienne Mésopotamie. Des édifices religieux sont rayés de la carte, dès lors qu'ils ne correspondent pas à la vision que ces jihadistes se font de l'islam et de son ordre. Dans l'ancienne Mésopotamie ont vécu pendant des millénaires des Assyriens, des Babyloniens, des Perses, chaque royaume régnant sur des peuples variés. Alex Plathe, directeur du bureau de l'Unesco pour l'Irak, parle d'«une idée folle de purification d'une région et de ses symboles qui font sa richesse. Il y a une volonté de prise de pouvoir totale, pas seulement sur les territoires mais aussi sur l'identité culturelle des peuples ». Il est difficile de faire un état des lieux. En Irak, les sites situés sur des lignes de front ne sont pas accessibles. Véronique Grandpierre, historienne, spécialiste de la Mésopotamie, une région historiquement riche en conflits, constate toutefois un mode opératoire des jihadistes extrêmement destructeur : « Des monuments sont détruits pour ce qu'ils sont. Par exemple, des monuments chiites comme la mosquée qui s'élevait sur le tombeau du prophète Jonas. Pourquoi est-ce qu'un Etat musulman détruit une mosquée ? Parce qu'à cet endroit, les prières des fidèles pourraient s'adresser au prophète et à Dieu... C'est une question de pratique, ce n'est plus une question de religion. C'est une interprétation de la religion musulmane sunnite qui est particulière à l'Etat islamique ». Une stratégie de la table rase La destruction ciblée des monuments symboliques et culturels a déjà été vue dans d'autres régions, comme le rappelle Alex Plathe. «En 2001, en Afghanistan, les talibans avaient pilonné les Bouddhas de Bamiyan», des sculptures monumentales taillées dans la falaise, vieilles de quinze siècles, symboles, selon eux, d'une religion dégénérée. Plus récemment, ce sont les célèbres manuscrits de Tombouctou qui ont été détruits au Mali. Le problème avec l'Etat islamique, c'est que tout art est dégénéré. Malgré les risques, les populations arrivent parfois à protéger certains sites. «Une chaîne humaine s'est formée autour du minaret de Mossoul qui a la particularité d'être incliné, un peu comme la tour de Pise», explique Véronique Grandpierre. «Il date du XIIe siècle et ne sert plus car on ne peut plus y monter. C'est pour cela qu'il était visé, parce qu'il ne sert plus à prier Dieu et parce qu'il est l'image de la ville de Mossoul. La mosquée qui s'élevait sur la tombe de Jonas a, elle, été détruite». Jonas, prophète pour les musulmans, fait aussi partie de la tradition judéo-chrétienne. En général, les conflits entraînent pillages et commerce illicite d'œuvres d'art. C'est moins le cas en Irak que lors des précédents conflits, même si le trafic existe. On assiste à des destructions pures et simples du patrimoine contre lesquelles il est plus difficile de mettre en œuvre des garde-fous. Ces destructions sont aussi une façon de rendre plus difficiles la réconciliation et la réinstallation des communautés d'origine qui, lorsqu'elles ont été chassées, reviennent moins volontiers sur place quand elles ont perdu leurs lieux traditionnels de culte et tout ce qui faisait sens historiquement à leur implantation dans la région.