Je viens de lire, non sans quelque effarement, que des « savants et dignitaires religieux musulmans » pousseraient le nouveau président égyptien, frère musulman, à …démolir les pyramides d'Egypte. Elles seraient selon les mots du cheikh saoudien Ali bin saïd al Rabi'i, des « symboles du paganisme ». Pour Abd-al-Latif al-Mahmoud, présenté comme le « cheikh des cheikhs sunnites » de Bahreïn, le temps est venu pour Mohamed Morsi de « détruire les pyramides et de réaliser ce que Amr Bin Al-As n'a pas été en mesure d'accomplir ». Référence est ici faite à la destruction, sous le Sahabi, de nombreuses antiquités égyptiennes vues comme des vestiges d'infidélité. Le sieur bahreïni note même que la technologie moderne permet de détruire « proprement » les pyramides. Notons que de telles informations donnent froid au dos, si elles s'avéraient exactes. Quoique, après la destruction par des talibans illuminés des Bouddah de Bâmiyân en Afghanistan et plus récemment le saccage, au Mali, d'édifices d'une valeur patrimoniale inestimable, sous couvert de religion intégriste ne devrait point étonner. Ces news qui font actuellement le buzz pourraient n'être toutefois que « des complots visant à discréditer l'Islam et les musulmans » selon le théologien bahreïni qui annonce que son compte Twitter a été piraté et que rien de « ce qu'on lui attribue n'est vrai. » En outre, il ne semble pas que le nouveau président égyptien soit suffisamment « pieux » pour se plier aux injonctions de ces dignitaires. Mais, examinons de près les conséquences de telles opérations -si elles venaient à être exécutées- sur l'Egypte même. D'abord, peut-on imaginer Le Caire sans ses pyramides ? Ce serait Londres sans sa tour, New York sans sa statue de la Liberté, Paris sans sa tour Effel…Sur son tourisme, ensuite. Outre le fait que ce secteur fait vivre en Egypte plus de deux millions de personnes, qui viendrait dès lors visiter ce pays en l'absence de ces merveilles du monde ? Et puis quel peuple accepterait de se voir privé de ce qui, en vérité, constitue son image dans le monde. Rompre avec le passé païen, dit-on sans sourciller. Et si sous ce même prétexte, les Espagnols se mettaient dans la tête cette idée saugrenue de se débarrasser des palais de Cordoue, de Séville et de Grenade ? Il est malheureusement peu probable qu'une telle idée effleure un esprit sain. Il n'y a pour l'instant que dans les têtes de leurs « éminents savants » que de telles débilités fleurissent. Ajoutons, par ailleurs que ces individus possèdent, hélas, assez de maléfice pour influer des esprits faibles prêts à tous les crimes. Une question se pose, cependant, et avec acuité : « Pourquoi, certains de nos coreligionnaires, portent-ils tant de haine pour leur patrimoine préislamique ? C'est selon Raymond Ibrahim -« Calls to destroy Egypt's Great Pyramids Begin » « Parce que, explique-t-il, ils s'identifient seulement à la nation islamique et nullement à une nation, culture ou langue. » Autrement dit, un islamiste n'a pas d'identité que celle à « la culture »islamique basée sur la « sunna » et à l'arabe, la langue de l'Islam. Chez nous, quelques actions de destructions de mausolées ont été exécutées par quelques salafistes, dans le sud du pays. Cela n'est que gesticulations sans conséquences immédiates. Mais, la prudence est de mise car, ce sont là des ballons d'essai qui pourraient dégénérer en actes plus spectaculaires et plus graves. Devant le laxisme des gouvernants qui pourrait empêcher que l'on appelle à la destruction d'el Ghriba de Djerba, de la cathédrale ou de la synagogue de Tunis ? Nos salafistes et autres fondamentalistes ne rêvent-ils pas d'un tourisme « halal » que rien, pas même les vestiges puniques ou romains, ne viendrait corrompre ? L'on se demande vraiment en quoi la visite de pyramides et autres tombeaux et sépultures, temples et nécropoles, sanctuaires et musées peuvent être contraires à la Charia. Que faut-il faire face à un tel galimatia et face aux vents du fanatisme aveugle ? Miser sur la sagesse et le discernement et penser comme Valéry que « de tous les actes, le plus complet est celui de construire », et comme Alice Parizeau que l'« on efface le passé pour mieux détruire l'avenir. »