Les recommandations de la Haica resteront-elles un vœu pieux, en l'absence de mécanismes d'évaluation des programmes audiovisuels ? La Haica (Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle) a communiqué aux médias, tout récemment, 19 recommandations : soit une sorte de système réglementaire qui régit la couverture médiatique des élections législatives et présidentielles relative aux périodes préélectorales. L'Instance recommande en substance «la pluralité dans l'expression des points de vue, des idées et des programmes politiques, l'indépendance, la neutralité, l'honnêteté des médias audiovisuels, l'objectivité, l'équité, la transparence, l'impartialité dans la présentation des actualités et des informations politiques». Cela outre «l'équilibre entre les différents partis et personnalités politiques, en prenant en compte la couverture des activités des trois présidents ainsi que l'accès équitable à l'antenne des moyens de communication entre les différents courants politiques et les représentants du pouvoir politique. Autre point : la non-diffusion de discours officiels des trois présidences, agents et conseillers sauf cas extrême», enfin, «l'interdiction de la publicité politique en période électorale et de la diffusion de sondages politiques». Comment les directeurs de chaînes audiovisuelles et les journalistes ont-ils réagi à ces principes généraux censés s'appliquer aussi bien à la presse audiovisuelle qu'à la presse écrite dans un esprit d'objectivité, de neutralité et d'équité ? Les avis divergent. Zouhaïr Latif, fondateur et directeur de la chaîne privée Telvza-TV, est catégorique : «Il est difficile d'être objectif, notamment quand il s'agit du secteur audiovisuel privé. Car plusieurs listes électorales de partis sont conduites par des hommes d'affaires qui, même s'ils ne sont pas têtes de liste ou au sein de la liste, sont derrière de nombreux partis. Cela va se refléter sur les élections car déjà plusieurs partis politiques sollicitent actuellement des chaînes de radio locales pour les soutenir lors des élections contre financement. Ainsi, il sera difficile d'appliquer et de s'en tenir aux principes d'indépendance, d'objectivité, de neutralité et d'équité. Comment, par exemple, appliquer le principe d'équilibre entre 140 partis politiques, dont certains présentent une ou deux listes alors que d'autres en présentent une trentaine? Vais-je favoriser les grands partis ? Mais n'est-ce pas là une manière d'orienter les élections? Sachez, par ailleurs, que plusieurs partis sont derrière des prétendus politiques indépendants, surtout dans les régions. N'est-ce pas là un double jeu. D'autre part on nous dit que la publicité politique est interdite. Or, il existe bel et bien une publicité indirecte, puisque plusieurs chaînes privées ont une appartenance politique claire. Comment, par ailleurs, imposer aux chroniqueurs et aux analystes de ne pas défendre un certain courant ou certaines idées politiques? Mois je pense qu'il s'agit certes d'une cause éthique et morale mais «le financement et/ou l'argent politique joueront un grand rôle compte tenu de la situation des institutions médiatiques audiovisuelles. Plusieurs médias n'hésiteront pas à franchir le pas». De son côté, Tahar Ben Hassine, fondateur et directeur de la télé privée «Al Hiwar Ettounsi», estime que les recommandations de la Haica relèvent du vœu pieux, puisque ce ne sont pas des obligations mais des recommandations qui ne sont pas passibles de sanctions». «Un équilibre impossible» Des journalistes de la presse écrite et électronique évaluent également la teneur des recommandations de la Haica. Jamel Arfaoui, fondateur du journal électronique «Tunisie Télégraphe» et journaliste, affirme qu'il est certes judicieux de faire des recommandations mais qu'elles sont faites sans consulter les professionnels, voilà qui est incongru. Concernant le principe de la neutralité, il est plus que catégorique : «J'ai le droit de défendre un projet de société et certaines idées. J'ai le droit d'être le porte-drapeau de tel ou tel courant politique et je l'afficherai. Pourquoi ne pas prendre exemple sur la presse audiovisuelle et la presse écrite américaine qui affichent clairement à leur public qu'elles défendent les idées, les valeurs et le programme de tel ou tel autre parti. Maintenant, donner le même espace rédactionnel ou le même temps d'antenne au parti de Bahri Jelassi et de Caïd Essebsi est impossible car, à mes yeux, ce n'est pas le même calibre. Ce n'est pas une question de poids. Sincèrement, il est difficile d'appliquer les recommandations et pour ma part, je doute qu'une bonne partie de ces recommandations soient prises en compte par les médias audiovisuels». Fatma Karray, rédactrice en chef au quotidien «Echourouq», ne comprend pas que la Haica favorise le stratégique sur le concret. Car, selon elle, «une multitude d'émissions des médias audiovisuels régionaux ne sont pas écoutés. Il faudrait, donc, que l'instance trouve «un mécanisme impartial et égalitaire d'évaluation des émissions politiques. Et d'ajouter : «Ne parlons pas du journal du 20h00 d'Al Watania 1» qui est loin d'être impartial et neutre. Je vous donne pour exemple le journal télévisé de mardi dernier dont les trois premiers sujets se focalisent sur des activités ayant trait au courant islamiste. Il s'agit donc d'impliquer les professionnels en optant pour une ou deux journées de dialogue national afin d'élaborer une charte journalistique pour les élections. Enfin, la Haica a-t-elle prévu un moyen d'agir afin que ses recommandations soient respectées par les médias tunisiens à l'étranger ainsi que les médias étrangers durant la période préélectorale et celle du silence électoral ? Il faudrait trouver également une solution à ce problème qui s'est posé lors des élections de 2011».