Par Abdelhamid GMATI Le fonctionnaire tunisien travaille 8 minutes par jour. C'est ce que nous apprend une étude entreprise par l'Association tunisienne de lutte contre la corruption. Il y est également dit que le pourcentage d'absentéisme dans les institutions publiques a augmenté, ces dernières années, de 60% et que seulement 20% des fonctionnaires sont assidus au travail. Le reste (80%) : présents légalement (ayant pointé) mais absents réellement. Précisons que l'effectif de la fonction publique est passé de 591.000 en 2011 à 700.000 actuellement. Les nouveaux recrutements concernent les blessés de la révolution ou parents de martyrs, des bénéficiaires de l'amnistie générale et des partisans de partis politiques. Cela veut dire que les critères d'embauche n'étaient pas basés sur la compétence. Ceci explique-t-il cela? De fait, le problème du sureffectif de la fonction publique date depuis longtemps, particulièrement dans l'administration régionale et les entreprises publiques: on case des amis, des parents, certains ayant les compétences voulues. Beaucoup travaillent et accomplissent leur devoir, d'autres végètent, faute de charge effective. On rapporte que certains évitent de prendre des vacances de longue durée de crainte que leurs supérieurs se rendent compte qu'ils ne servent à rien. Selon un expert financier, 47% des fonctionnaires vivent dans la pauvreté, se trouvant sans le sou à partir du 12e jour du mois, et ont recours aux petits crédits et emprunts. Tout cela a des répercussions sur les citoyens faisant appel aux services publics. Quelques exemples : un citoyen, devant faire parvenir à sa fille vivant à l'étranger un certificat de citoyenneté, se fit trimballer d'une administration à une autre, municipale, régionale (gouvernorat), et judiciaire avant d'obtenir le document voulu ! Cela lui prit plus de quinze jours en démarches, en attente et en... dépenses (c'est fou le nombre de timbres fiscaux requis). Une jeune femme, voulant travailler à son propre compte, élabora un petit projet commercial qui nécessitait une inscription au registre du commerce (patente). Elle eut droit au parcours du combattant allant d'un bureau à un autre, d'une administration à une autre. Cela dura près de 20 jours en allées et venues, en déplacements, en dépenses. A la dernière étape, le document signé par le chef de service n'avait besoin que d'être enregistré. Le préposé à cette formalité toute simple l'a contrainte à revenir trois jours de suite, avant de lui remettre le document dûment signé et enregistré. Elle en déduisit que le préposé aspirait à un pourboire. Un ministère commanda une étude à un expert auquel on remit un bon de commande. L'expert fit son travail tel qu'exigé et remit le rapport dans les délais. On lui remit un bon de réception. Mais il dut attendre 8 mois avant d'être rétribué pour ses services. A notre connaissance, chaque commande d'une administration fait l'objet d'une étude approfondie et bénéficie d'un budget adéquat. Alors pourquoi attendre 8 mois avant de payer le service commandé ? De leur côté, les producteurs de feuilletons et autres émissions de télévision, les artistes, les techniciens qui les réalisent doivent patienter des mois avant de recevoir leur dû. Un exemple : un producteur et son équipe réalisent un feuilleton de 30 épisodes, commandé par une chaîne de télévision. Le feuilleton, au coût de 2.500.000 dinars, est réalisé et diffusé pendant le mois de Ramadan. Ayant eu du succès auprès des téléspectateurs, l'œuvre attire les annonceurs qui multiplient les spots publicitaires. Au total, le feuilleton rapporte à la chaîne 5 millions de dinars. Le producteur, lui, qui avait avancé les frais sur son comte personnel, dut attendre plus de 7 mois avant d'être remboursé par la chaîne qui avait fait un bénéfice de 2 millions 500.000 dinars. Là aussi, la question est : une chaîne qui commande un feuilleton ou toute autre émission dégage un budget adéquat. Alors pourquoi tarder pour payer les auteurs? Et cette pratique se retrouve chez les chaînes, qu'elles soient privées ou publiques. Aujourd'hui encore, le producteur d'un feuilleton, diffusé par une chaîne publique au mois de Ramadan dernier, attend toujours d'être payé. Quelle explication donner à ces pratiques ? Tout simplement qu'il y a des fonctionnaires qui agissent en ronds-de-cuir. A l'origine, les personnes devant rester longtemps assises ont finit par placer des coussins en cuir, plus ou moins rembourré, pour un meilleur confort. Jusqu'au jour où l'écrivain Georges Courteline rédigea un roman «Messieurs les Ronds-de-cuir» dans lequel il décrivait la médiocrité des fonctionnaires, prisonniers des règlements ou de leur propre laisser-aller. Depuis, le terme rond-de-cuir (avec traits d'union) désigne un fonctionnaire inefficace et peu motivé. Il y a des raisons à cela. Chez nous, un employé, un fonctionnaire auquel on reprocherait son manque d'assiduité ou son inefficacité répondra de manière lapidaire : «Je leur en donne pour leur argent». En fait, il y a aussi les ambitions personnelles et tous recherchent des promotions. Mais souvent ils atteignent leur degré d'incompétence, selon le Principe de Peter.