La prochaine récolte de tomate est sérieusement menacée. Beaucoup d'exploitants rechignent à refaire l'expérience des années passées, faites de désillusions et de grosses pertes, en raison d'un renchérissement sans précédent des charges et d'un prix qui ne cadre pas avec les dépenses. Deviendra-t-on un jour importateur de concentré de tomate? La question, même si elle est prématurée, mérite d'être posée. En effet, les remous qui secouent les cultivateurs de ce produit n'augurent rien de rassurant. Il est vrai que ce malaise n'est pas né d'hier, mais il s'est accentué ces dernières années où les charges ont tellement grimpé qu'elles sont devenues insoutenables pour les producteurs, dont la plupart croulent sous l'endettement. Ceux du Nord-Ouest sont les plus touchés pour des raisons multiples, dont la mauvaise récolte de la saison passée, à cause d'une maladie qui a ravagé les plants avant mûrissement du fruit. Une récolte qui a laissé des traces profondes chez les petits exploitants qui risquent de disparaître. Le malaise chez ces derniers est encore plus grand, au point que plusieurs d'entre eux ayant l'habitude de pratiquer des cultures d'hiver (pomme de terre, oignons, fenouil, petit-pois...) n'ont pu le faire faute de moyens. Avec les dettes contractées auprès de transformateurs et certains intermédiaires ou fournisseurs d'engrais, de plants ou de fongicides, ils sont tout bonnement ruinés. Plusieurs d'entre eux affirment qu'ils sont dans la tourmente et ne savent comment s'en sortir, d'autant qu'ils ne connaissent d'autre activité que celle du maraîchage, dont principalement la tomate. Les problèmes dans ce secteur sont innombrables. Le premier d'entre eux a trait aux charges qui ne cessent d'augmenter avec des prix à la vente aux unités de transformation qui ne changent pratiquement pas depuis des années. Manque à gagner L'augmentation convenue depuis 2012 ne l'a été qu'en 2014, et encore sous l'effet d'une offre qui ne répondait pas aux capacités réelles de transformation des multiples unités du pays. Le manque à gagner, affirment les agriculteurs, est tel qu'il n'est plus possible de continuer. Tout a augmenté, du coût de l'heure de labeur, consécutif aux trois dernières hausses du prix du carburant, en passant par celui des engrais, des plants, des défoliants, pour aboutir à la main-d'œuvre qui se fait de plus en plus rare à trouver et plus exigeante en matière de salaire, avec souvent un rendement journalier en deçà du minimum requis. A cela s'ajoute la loi du plus fort, celle des transformateurs qui jouent sur plusieurs tableaux en matière de calcul des prix. Les subterfuges ne manquent pas afin que les 132 millimes, prix du kilo, deviennent 110 millimes, voire 100 millimes ! L'argument principal avancé est souvent la grande chaleur sous laquelle le produit a passé des heures avant le pesage et les conséquences qui en découlent et dont la qualité se ressent. On peut vous prélever de 10 à 20% du poids réel pour subir cette raison-là ! Devant l'impossibilité d'avoir un autre recours et l'urgence de ramasser sa récolte, le producteur doit subir cette situation avec résignation sans en être convaincu le moins du monde. Plusieurs d'entre eux, conscients de cette manœuvre, vous disent que l'état de servage ne peut durer indéfiniment avec ces pratiques d'un autre âge. Leur reproche principal est d'ailleurs adressé à leurs syndicats incapables de défendre leurs droits face à la puissance de celui des transformateurs qui agissent à leur guise. Quant au gouvernement, il ne s'en cache pas, il n'a jamais prêté attention à leurs doléances. Mais viendra le jour où il se rendra compte de la grave méprise avec laquelle il a traité les gens du métier ! C'est une menace à peine voilée ! Que cache-t-elle ? En allant plus loin avec ces exploitants pour essayer de comprendre ce qu'ils comptent faire dans l'avenir au vu des problèmes auxquels ils sont confrontés sans détour aucun, on estime qu'il est temps d'arrêter la culture de la tomate qui, non seulement ne leur rapporte plus rien, mais les ruine sans que les pouvoirs publics daignent étudier leur situation avec le sérieux qu'elle exige. Chiffres à l'appui, ils ne sont pas dans leur tort : le salaire de la femme ouvrière est passé de 8 à 12D avec un rendement de moins de 50% . L'heure du grand labour de 25 à 35D, celle du petit labour de 20 à 30D, ce qui fait plus de 40% de hausse. Les engrais et les pesticides ont enregistré, surtout pour ces derniers, une sacrée envolée qui peut aller jusqu'à 100% ! Cela devient dissuasif pour le plus solide des exploitants. Pour Mehdi de la région de Medjez et Bab, lui qui n'a d'autre activité que celle de cultiver la tomate en louant des terres par-ci et par-là, il n'est plus question pour lui d'aller plus loin. Il affirme avec amertume qu'il a tout perdu l'été passé et qu'il ne refera plus l'expérience. D'ailleurs, il n'a plus les moyens. Mais il n'est pas le seul à le dire. La plupart de ceux de son état le confirment, assurant que pour la saison à venir, ils ne seront pas de la partie, tant que des mesures concrètes pour une révision des prix à la vente ne sont pas prises sous peu, c'est-à-dire d'ici le mois de février qui coïncide avec les derniers préparatifs avant le piquetage des plants. Pour eux, il n'y a aucune raison pour que les prix ne soient pas revus à la hausse. Ils n'arrivent pas à comprendre, en outre, pourquoi du côté des gouvernants, on est très compréhensif à l'égard des industriels de l'agroalimentaire, alors qu'on ne l'est pas envers les producteurs. Ils se demandent d'ailleurs comment le prix du produit transformé a augmenté de presque 50% (diminution du poids comprise) en l'espace de moins d'une année, alors que pour eux, un prix décidé depuis deux ans n'a été appliqué que sous la contrainte de la petite offre. Ce sentiment d'injustice ressenti chez les exploitants ne peut être dissipé que par une vraie sollicitude à leur égard pour qu'ils puissent continuer à produire et subvenir aux besoins de leurs familles. Ils constituent un véritable rouage de notre économie duquel on ne peut se passer. Ils font travailler une main-d'œuvre importante, constituée essentiellement de la gent féminine et de jeunes scolarisés qui bossent pour gagner de quoi acheter leur fourniture scolaire. Ils donnent leur raison d'être aux fournisseurs d'engrais et autres défoliants. En fait, c'est toute une chaîne qui tourne autour de ce secteur dont le produit fini est un constituant de base pour notre alimentation. La quasi-totalité de nos plats ne peuvent se concevoir sans la tomate transformée. Et, au rythme où vont les choses, on risque dans un jour proche de vivre une pénurie de cette conserve, avec toutes les conséquences qui en découleraient à plus d'un niveau. La prochaine récolte est menacée très sérieusement. Les surfaces cultivées vont certainement chuter par rapport à la saison précédente, qui n'était pas d'ailleurs fameuse au niveau de la production. Cela implique que notre pays sera obligé d'importer ce produit. Plusieurs pays sont aux aguets, tel la Chine qui exporte un triple concentré d'excellente qualité et à des prix défiant toute concurrence. Les répercussions sociales seront encore plus graves avec le chômage qui gagnera encore du terrain parmi les exploitants et dans le milieu rural fournisseur de la main-d'œuvre agricole et aussi parmi les ouvriers des usines de transformation. Des mesures concrètes doivent être prises sans tarder pour désamorcer une crise qui s'annonce dans le secteur. Une menace qu'on doit prendre au sérieux, et ce, en réunissant autour d'une même table, producteurs et transformateurs avec un parrainage du gouvernement qui doit exercer son autorité d'arbitre afin de parvenir à des solutions qui satisferaient toutes les parties prenantes et pour que celles-ci placent l'intérêt du pays avant toute autre considération d'ordre corporatiste. Ceci pour rendre justice à ces travailleurs de la terre qui sont dans le désarroi et pour qu'une éventuelle augmentation du prix à la production n'engendre pas une nouvelle hausse du produit fini. Ce qui est déjà largement suffisant, n'est-ce pas ?