Le film Before Snowfall (Irak) du réalisateur norvégien d'origine kurde Hisham Zaman, en compétition officielle de la 25e édition des JCC, a été projeté mardi dernier à la salle Le Colisée. Jusqu'où peut-on aller par vengeance? Après le visionnage du road movie Before Snowfall, du réalisateur Hisham Zaman, coécrit par Zaman et Kjell Ola Dahl, et interprété par une belle brochette d'acteurs aussi convaincants que touchants, à savoir Taher Abdullah Taher, Suzan Ilir, Bahar Özen et Birol Ünel, la réponse est forcément: trop loin. Before Snowfall (Avant la neige) est de ces films qui donnent l'impression que l'on se doit de les revoir pour en saisir toute la profondeur. En partant clandestinement d'un petit village niché dans les montagnes du Kurdistan jusqu'à Oslo en Norvège, en passant par la Turquie, la Grèce et l'Allemagne, le jeune Sayar est poussé par une seule loi, celle de la vengeance. En ce sens, le périple — un voyage initiatique — mérite d'être vécu, bien que la fin soit forcément tragique. La tragédie moderne, comme disait le réalisateur iranien Asghar Farhadi, «n'est pas le combat du bien et du mal, mais du bien et du bien.» Mais lorsque ce combat se condense dans l'esprit malmené d'un seul personnage (Sayar), ça devient un dilemme ; quand chacun des personnages en porte un, avec, entre autres, les contraintes, le passé et les désirs propres à chacun. Quand chacune des alternatives n'oblige pas seulement les vies et l'honneur des concernés, mais force toute une société à constater que les lois des hommes ne sont pas à l'image de celles de Dieu dont ils se réclament. Lorsque tous ces éléments sont bien conduits dans une œuvre cinématographique, on appelle ça du bon cinéma. La grande sœur déserte son mariage arrangé avec le fils du Agha pour s'enfuir avec son bien-aimé. Sayar, étant le seul homme de la famille, est obligé de la ramener ou de la tuer pour sauver l'honneur familial. À Istanbul, il fait la rencontre d'une jeune fille qui va l'accompagner durant son parcours. Il s'ouvre petit à petit au monde, et son amour pour sa sœur et son expérience personnelle de l'amour lui ouvrent les yeux. Quant à la façon dont les événements dépeints doivent être interprétés, Before Snowfall invite le spectateur à un dialogue « intérieur», nourri par une qualité visuelle capable de toucher au plus profond. Chaque plan est d'une telle intensité que l'on peut aisément passer les 96 minutes de sa durée à se laisser porter par sa puissance évocatrice propre. La mise en scène, tout en faisant preuve de virtuosité, reste la plupart du temps marquée d'une sobriété magnifiant le visible, tandis que les flash-back représentant les bons souvenirs entre frère et sœur sont dotés d'une lumière particulière très révélatrice. Cette dernière constitue une véritable narration dans la narration, permettant ici de renforcer la dramatisation du rapport à l'espace. La précision des cadres, la maîtrise de la photographie et la disposition des corps dans l'espace trouvent ici un point d'équilibre remarquable. A travers ce film, on découvre un cinéaste de l'éthique, jamais un moraliste. Sobre et crédible, il livre une image réaliste de l'immigration clandestine en Europe et du problème des crimes d'honneur sans prendre position, ni dicter une morale. En ces temps de discours populistes, une telle intelligence de la formulation plutôt que de la solution est libératrice. Dans ce film, l'esprit respire.