En moins de deux mois du démarrage effectif de ses activités, soit le 10 décembre dernier, l'Instance vérité et dignité (IVD) s'est retrouvée face à une tempête de critiques virulentes ayant failli saper ses premiers pas. L'incident lié aux archives de la présidence de la République, survenu le mois dernier, avait déjà défrayé la chronique, mettant, ainsi, l'Instance à l'épreuve de son pouvoir constitutionnel. Maintenant que l'orage est passé, dans un ciel peu dégagé, l'IVD semble demander main-forte. L'Instance a organisé, hier, à Tunis, un atelier d'échange avec les acteurs de la société civile, dans le but de renouer avec l'esprit collégial dans la réflexion sur le devenir de la justice transitionnelle. Pour elle, tous les moyens sont bons, pourvu qu'ils aboutissent à la vérité recherchée. Que cette vérité puisse déranger ou bouleverser, sa découverte vaut bien la messe. Et puis, un tel parcours du combattant, bien qu'il tienne les assoiffés de la justice en haleine, ne saurait aboutir sans la conjugaison de tous les efforts. Consciente du poids de la responsabilité et de l'ampleur de l'enjeu, l'IVD sollicite l'assistance de la société civile afin de surmonter les difficultés du parcours et pouvoir repartir du bon pied. Un nouveau départ qui pourrait lui épargner chausse-trappe et autres coups fatidiques. Cinq mille plaintes Ouvrir des archives longtemps enfouies n'est jamais aisé. De même, rendre justice aux victimes de la torture et de la dictature requiert nécessairement un appui irrévocable. Aujourd'hui, ladite instance doit s'investir de la mission que lui a attribuée la loi organique sur la justice transitionnelle. Une loi en vertu de laquelle elle est chargée de rechercher la vérité sur les violations aux droits de l'Homme commises du 1er juillet 1955 au 31 décembre 2013. Soit plus d'un demi-siècle révolu, où les affaires des violations massives reconnues en tant que telles demeurent sous la main de l'IVD. Selon sa présidente, Mme Sihem Ben Sedrine, l'Instance a reçu, jusque-là, plus de 5 mille plaintes. Il s'agit, a-t-elle ajouté, des plaintes qui concernent des violations aux droits de l'Homme qui ont eu lieu durant des décennies. Des requêtes déposées par des familles youssefistes, des militants de gauche des années 60 et 70, des syndicalistes torturés lors des émeutes de janvier 78, des islamistes, nationalistes arabes, et bien d'autres touchés par les événements de Gafsa en 1980 et la révolte du pain en 1984. Sans pour autant oublier les blessés et martyrs de la révolution du 14 janvier 2011, ainsi que les victimes de la chevrotine lors des événements de Siliana en 2012. Vingt mille boîtes d'archives non inventoriées Et Ben Sedrine de révéler que toutes ces violations vont être examinées par l'IVD, où l'on est en train de mettre en place les structures qui vont analyser, enquêter et auditionner les victimes. « Nous avons également reçu des requêtes d'arbitrage de la part des personnes qui ont commis des violations de la loi sur le champ financier et économique. Ces demandes vont être traitées par la commission d'arbitrage qui a été instituée par le règlement intérieur de l'IVD et par la loi l'organisant sur la justice transitionnelle», a-t-elle fait savoir. Quant aux archives de la Présidence, Mme Ben Sedrine vient d'affirmer que l'Instance a repris les négociations avec l'actuel cabinet présidentiel, lequel a insisté sur la continuité de l'Etat, la volonté politique de soutenir le processus de justice transitionnelle et l'intention de respecter la loi. Soit, à l'en croire, une détermination présidentielle de ne pas s'opposer à toute demande d'accès aux archives. Pour elle, toute la question est de voir, sur le plan pratique, comment faciliter l'accessibilité, sachant que les archives de la Présidence, celles de la dictature, ne sont pas conservées dans des lieux conformes aux standards. L'on parle, alors, de près de 20 mille boîtes d'archives qui ne sont pas encore inventoriées. L'intention de l'IVD est de les déménager aux Archives nationales pour les rendre exploitables, suite aux pourparlers engagés depuis novembre dernier avec la partie concernée. En attendant que le Premier ministère, dont dépendent les Archives nationales, donne son aval au sujet du transfert, l'Instance garde ces archives dans ses propres locaux. Sur la bonne voie Khaled Krichi, membre de l'Instance, de la commission d'arbitrage et de réconciliation, a indiqué que l'échange avec la société civile est de nature à baliser la voie à une coopération effective, en mesure de soutenir l'action de l'IVD. Cette société civile, insiste-t-il, devrait être une force de proposition et de décision, aux côtés de l'Instance. Mohamed Kamel Gharbi, président du Réseau tunisien de la justice transitionnelle, a qualifié cette journée de nouveau pas franchi sur la bonne voie. «Il est de notre droit, aujourd'hui, de contribuer à la réussite de ce processus et à la concrétisation des objectifs attendus», estime-t-il. Surtout que les six commissions relevant de l'Instance ont été finalement mises en place. Il s'agit, en fait, des commissions d'arbitrage et de réconciliation, d'examen fonctionnel et de la réforme des institutions, de recherche et investigation, de réparation et réhabilitation, de la femme et celle de la sauvegarde de la mémoire nationale. Ces commissions ont mené, hier, un travail d'ateliers thématiques sur leur rôle et leur plan d'action futur.