Les scènes de Kaâb El Ghazal sont ponctuées de tableaux de chorégraphie, où les acteurs incarnent les gazelles, chantent et célèbrent le désert et les gazelles qui acquièrent, ici, une symbolique culturelle. Dans une salle presque déserte, les bruits incessants d'une porte qui grince et des allers et retours sans fin, les spectateurs, après avoir attendu pendant une heure et demie, ont eu enfin droit à la représentation de la pièce théâtrale intitulée Kaâb El Ghazal. Cette pièce choisie pour l'ouverture officielle du festival Ali Ben Ayed de théâtre (vendredi dernier) est de son auteur et metteur en scène Ali Yahyaoui. Inspirée des contes de Ibrahim El Kouni, la pièce aborde des questions de dimensions philosophique, morale et de civilisation. «Kaâb El Ghazal» est, en effet, la toute dernière production du Centre des arts dramatiques et scéniques de Médenine. C'est une pièce d'une heure vingt minutes, jouée par de grands acteurs à l'instar de Latifa Gafsi, Lotfi Najah, Chaouki et d'autres. Nous sommes bien placés dans le désert, le décor renvoie une époque révolue, un dialogue s'installe entre un gendarme français et un groupe d'autochtones qui habite le désert. On commence à suivre minutieusement ce dialogue, lorsque que, coup de théâtre, Boussadia, un personnage légendaire, vient d'apparaître en pleine représentation. Il circule entre les rangs, avec sa danse très particulière, interpelle le public, question de casser le rythme, divertir et épater l'assistance. Retour, ensuite, à la scène principale, on reprend le dialogue déjà entamé entre ces personnages. Le capitaine français Jean Parker, un «criminel», voulait à tout prix tuer les «waddan» (gazelles), «Assouf» le berger aux allures de derviche, voulait empêcher ce crime. Ce dernier vivait en parfaite harmonie avec son environnement « le désert» jusqu'à' l'arrivée de ces chasseurs. La tension dramatique de la pièce monte dès lors, les tableaux de danse les allègent et viennent pour renforcer et illustrer cette idée du désert, d'une terre qu'on vient de perdre. D'un rythme ternaire, la pièce de Yahyaoui est bien bâtie sur les mythes et les légendes. On y trouve la voix de la sagesse incarnée par le soufi Jallouli, le barbarisme incarné par les chasseurs... chaque personnage revêt une symbolique. Une fois tué par son frère, Assouf se transforme en gazelle. Une mort tragique, qui montre la vraie nature de l'être humain, cette lutte infinie entre les notions du bien et du mal. Le Mal triomphe, la nature humaine qui ne peut s'empêcher de s'entretuer, s'entredéchirer, c'est la leçon que voulait nous transmettre le metteur en scène. Les scènes de Kaâb El Ghazal sont ponctuées de tableaux de chorégraphie, où les acteurs mêmes incarnent les gazelles, chantent et célèbrent à chaque fois le désert et les gazelles qui acquièrent ici une valeur symbolique culturelle. Yahyaoui a voulu dévoiler les différentes facettes de l'homme, poussé depuis la nuit des temps, par ses instincts «bestiaux», à tuer, démolir et détruire. Le désert, dans la pièce, obtient ainsi une dimension référentielle et cognitive et résume toute une histoire de culture et de civilisation arabe et africaine.