Le service de maternité de l'hôpital Ibn El Jazzar à Kairouan a vécu, le 25 mars, un vrai drame suite au décès, dix heures après l'accouchement, de Jalila Yakoubi (30 ans), déjà mère de deux enfants, admise en urgence en provenance de Oueslatia. Ce décès a été vécu comme une onde de choc au sein de toute sa famille à Oueslatia qui a décidé de saisir la justice pour voir s'il y a eu ou non négligence médicale. C'est que les maternités périphériques relevant du gouvernorat de Kairouan manquent de cadres paramédicaux, de gynécologues et d'équipements, d'où les nombreux cas de transfert des femmes au moment de la délivrance difficile vers la maternité de Kairouan avec tous les risques que cela comporte (accouchement en cours de route, hémorragie, décès de la femme, etc). «C'est un tsunami qui a balayé notre bonheur familial» Salem Yakoubi, le père de la défunte nous confie les larmes aux yeux: «C'est un tsunami qui balayé notre bonheur familial. Ma fille, qui était enceinte de 7 mois et qui a été tout d'abord admise au service des urgences de l'hôpital de Oueslatia à cause de certains malaises, a été par la suite transférée à la maternité de Kairouan le jour même et après la naissance d'un garçon, on nous a annoncé son décès. On voudrait en connaître les raisons d'autant plus qu'elle était régulièrement suivie pendant sa grossesse et qu'elle n'avait pas de problèmes de santé. Nous voulons connaître toute la vérité afin d'éviter que ce genre d'incidents n'arrive à d'autres familles...» Pour en savoir un peu plus sur ce drame familial et par souci d'objectivité, nous avons recueilli les témoignages du corps médical présent lors de l'accouchement, notamment les médecins Ridha Fatnassi et Skander Ladhari : «Madame Yakoubi qui est bi-cicatricielle (ayant accouché 2 fois par césarienne), a été admise en urgence au sein de notre service, le 25 mars à 5 heures du matin avec une dilatation complète de l'utérus vu le trajet entre Oueslatia et Kairouan, et a accouché en cinq minutes par voie normale d'un bébé pesant à peine 1 kilo 100 g placé aussitôt dans une couveuse. Les causes peuvent être multiples Et comme son état général était normal au niveau de la tension, de la révision utérine et de la qualité de la cicatrice, on l'a mise sous antibiotique. Néanmoins, vers 8 heures du matin, elle a présenté un état de choc inexpliqué avec un pouls très rapide, une tension très basse et beaucoup de vertige. Nous lui avons effectué une échographie pelvienne en urgence et nous n'avons constaté aucun saignement mais son état allait de mal en pis. Tout le staff médical a été appelé en urgence pour un bilan hémostase suivi d'une hystérectomie d'hémostase. En périopératoire, la patiente a reçu plusieurs poches de sang, de PFC, de plaquettes, de PPSB et de fibrinogène. En postopératoire, elle est restée choquée avec une tension très basse. Suite à cela, le staff chirurgical a décidé son transfert au service de réanimation de l'unité chirurgicale Les Aghlabides et ce vers 15 heures. Malheureusement, l'évolution a été inefficace après 2 heures et elle est décédée vers 17 heures. C'est pourquoi nous avons demandé une autopsie pour voir si elle souffrait d'une pathologie cardiaque ou bien si elle a succombé à une embolie amniotique ou à une hémorragie interne. De toute façon, nous avons tout fait pour éviter cette fin tragique...» Equipé de matériel sophistiqué Réalisé en 2008 pour un budget de 2,2MD, le service de maternité de l'hôpital Ibn-El Jazzar de Kairouan répond aux exigences de la médecine puisqu'il est équipé de matériel sophistiqué au sein de ses 6 salles d'accouchement, ses trois blocs opératoires, ses 3 salles de réanimation et son urgence spécialisée. Mais comme l'aire géographique du secteur de cette maternité interrégionale comporte le gouvernorat de Kairouan ainsi que certaines délégations de Zaghouan, de Mahdia, de Siliana et de Sidi Bouzid avec une population totale d'un million d'habitants, le taux d'occupation des lits atteint parfois 154%. Et il arrive qu'un seul médecin procède à 15 césariennes en une seule journée! D'ailleurs, comme nous l'explique Professeur Ridha Fatnassi, chef de service, en 2014 on a enregistré 9.000 accouchements ( un seul décès maternel), 13.000 admissions,7.000 consultations externes, 7.000 échographies programmées, et 7.000 échographies en urgence : «En outre, l'hôpital du jour en urgence spécialisée a enregistré 24.000 consultations, 1.000 petits actes, 2.550 césariennes et 400 grands actes. Par ailleurs, notre service est normalement équipé de 70 lits budgétaires et maintenant, vu la surcharge du travail, 104 lits ont été placés. Enfin, nous manquons de cadre médical et paramédical puisque nous ne disposons que de 4 médecins et 25 sages-femmes, ce qui est très insuffisant. Il est vraiment urgent d'y renforcer le staff médical afin de préserver les acquis accomplis, de promouvoir les divers aspects de la santé reproductive et de la surveillance prénatale et de réduire le taux de mortalité maternelle...» Signalons dans ce contexte qu'on a enregistré une baisse considérable de la mortalité infantile au sein de ce service qui est passé de 20% en 2007 à 12.64% en 2013.