Par Mahmoud HOSNI En ces jours de souvenir, où l'on commémore le décès de Habib Bourguiba, l'on se penche sur ses actions, ses coups d'éclat et surtout sur sa vision du monde et particulièrement de la Tunisie, dont il a fait un Etat moderne. Pour cela, il avait fait deux paris majeurs : l'éducation et l'émancipation de la femme. Si pour cette dernière, des tentatives de faire machine arrière ont été effectuées — sans succès — par des forces rétrogrades, pour l'éducation cela a été la catastrophe : deux ans après la révolution, on compte entre 100.000 et 113.000 cas d'abandon scolaire. Un chiffre qui est passé sans longs commentaires ni vives réactions, alors que certains faisaient les gorges chaudes du phénomène des suicides des enfants, avec débats, lectures psychosociales et toutes les théories inhérentes. Y a-t-il un lien de causalité entre les deux ? Il y a enquêtes et recherches à faire. En tout état de cause, Bourguiba devrait se retourner dans sa tombe, lui qui a misé sur un peuple éduqué, une enfance éclairée. Mais pourquoi cet abandon scolaire massif ? Ce n'est nullement un hasard... Ce qui est certain, ces abandons ont eu lieu dans les familles précaires, marginalisées et notamment rurales. C'est dans ces milieux que la hausse du coût de la vie a eu un impact direct, en sus de l'insécurité et de l'instabilité post-révolution. Lorsque l'on sait qu'avec les programmes actuels, le nombre de livres exigés, la facture devient insupportable pour les familles. C'est là un mal qui fait l'unanimité. Il y a aussi un manque d'écoute, un déficit réel entre l'institution éducative et les enfants. Jadis, les élèves étaient astreints à remettre les livres — en bon état — à l'école pour les classes suivantes. Aujourd'hui, personne ne s'en soucie, hormis quelques associations. Pire encore, jusqu'à ce jour aucun ministère n'a levé le petit doigt pour tenter de récupérer cette enfance qui a pris la clé des champs. Ni le ministère de l'Education, ni les délégués de l'enfance, confinés dans leurs bureaux et dans le travail routinier, ni le ministère des Affaires sociales et encore moins celui de la Famille et de l'Enfance. Si ces départements conjuguaient leurs efforts et venaient à engager une action concertée, ils sauveraient cette enfance en déperdition, menacée par l'analphabétisme et qui viendrait allonger la longue file des chômeurs. Quant à l'institution éducative, prise dans sa bataille corporatiste et individualiste de revendications matérielles, elle a perdu sa vocation première : enseigner, mais surtout éduquer et prendre en main cette enfance pour l'assister et l'orienter. Quant à la société civile, elle s'est beaucoup plus figée dans les querelles politiques pour se préoccuper du sort de cette génération presque perdue. Personne ne semble réellement regarder l'avenir, la Tunisie de demain, celle que forgeront les générations futures.