Si le Parlement décide de céder aux pressions, la commission de législation générale, elle, ne prendra pas ce risque», selon Abada Kéfi. Affranchie de manière confuse mais définitive des délais constitutionnels, la commission de législation générale examine, depuis quelques semaines déjà, article par article, le projet de loi relatif à la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature. Au bout de ce processus très technique, la commission présentera le projet modifié en séance plénière accompagné d'un rapport, notamment pour ce qui concerne les points de discorde, c'est-à-dire les articles sur lesquels les membres de la commission n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Enfin, c'est aux 217 élus de dire leur dernier mot dans un exercice beaucoup plus politique que technique. La commission de législation, composée en majorité d'avocats, s'oriente vers une certaine vision de la physionomie du CSM, qui n'est pas toujours compatible avec la volonté de certaines corporations, qui ont, par ailleurs, toutes été entendues à l'ouverture des travaux de la commission présidée par le nidaiste Abada Kefi, avocat au barreau, connu pour sa capacité à mémoriser textes de loi et jurisprudence. Avant même le dépôt du projet de loi au bureau d'ordre de l'ARP, juges, avocats, huissiers-notaires et d'autres intervenants dans le pouvoir judiciaire ont multiplié les mobilisations et les démonstrations de force pour tenter d'influencer le législateur dans le sens qu'ils souhaitent. A titre d'exemple, les juges prévoient de faire grève à la fin du mois d'avril. Derrière la rhétorique de l'indépendance de la justice, brandie à juste titre et sincèrement par les différents corps de justice, se cache également une volonté légitime de positionnement à l'intérieur du puissant Conseil supérieur de la magistrature, qui risque de ne laisser que des miettes à l'administration judiciaire. Les juges veulent en effet tout maîtriser presque sans aucun droit de regard de la part du gouvernement. Les avocats, principale composante du tiers composé de non-magistrats, veulent, eux aussi, jouer un rôle au moins aussi important que celui des juges. Enfin, il y a l'ensemble des autres corporations : huissiers-notaires, experts-comptables, huissiers de justice. «Nous ne sommes pas prêts à céder aux pressions des uns et des autres, nous allons continuer à travailler en toute indépendance. Si le Parlement décide de céder aux pressions, c'est son affaire, mais la commission de législation générale, elle, ne prendra pas cette responsabilité», commente Abada Kefi. Où en sont les travaux? Selon la constitution de janvier 2014, le CSM est composé de quatre organes, à savoir le conseil de la justice judiciaire, le conseil de la justice administrative, le conseil de la justice financière ainsi qu'une instance regroupant les trois organes cités dans ce qui est appelé «séance plénière». L'article 112 de la Constitution impose également une composition hétéroclite, formée au tiers par les magistrats et autres membres nommés «ès-qualité» et puis un tiers de non-magistrats (indépendants et spécialistes). Convaincue par les arguments des juges militaires avancés lors de leur audition, la commission de législation générale a par exemple décidé que les juges militaires feront partie du CSM bien que l'article 112 ne les a jamais mentionnés de manière spécifique. Au total, ils seront 45 à siéger au Conseil supérieur de la magistrature. La commission a en effet réussi à se mettre d'accord via le vote, sur la composition du tiers des non magistrats (15 au total) qui seront répartis comme suit : quatre avocats et un professeur universitaire pour l'organe de la justice judiciaire, trois avocats et deux professeurs universitaires pour l'organe de la justice administrative et deux avocats et trois experts comptables pour celui de la justice financière. Hier, les membres de la commission ont discuté un certain nombre de prérogatives, parmi lesquelles cellesx du président du CSM. «Le président du CSM a un pouvoir réglementaire dans son domaine, il décide de la date de la tenue de la séance plénière et propose l'ordre du jour, il préside la séance plénière, transmet le rapport annuel au Parlement et au président de la République, signe les décisions des trois organes du conseil en relation avec la nomination des juges», a déclaré Rim Mahjoub (Afek Tounes). Elle signale toutefois que le débat a été très animé par rapport à ce dernier point, car selon l'article 102 de la Constitution c'est le président de la République qui nomme les juges sur avis conforme du CSM. Les membres de la commission ont aussi tranché hier la question des prérogatives de la séance plénière qui sera, selon Mourad Hmaïdi (Front populaire), appelée à préparer le budget prévisionnel, à discuter le budget, à préparer la charte de conduite du juge, à discuter le rapport annuel et à mettre en place le règlement intérieur du CSM.