Manifestement, la période d'initiation à la vie politique, pour quelques partis, continue encore et sa fin n'est pas pour bientôt. Il est vrai que l'on est loin du nombre faramineux, dépassant la centaine, d'il y a quelques années où les novices et les prosélytes sévissaient. Cependant, certains parmi ceux qui ont réussi à passer le premier cap se cherchent encore malgré ce test concluant provisoire, donnant l'impression qu'ils viennent juste de se constituer et de découvrir la scène politique tunisienne. On veut parler ici des composantes du nouveau-né, la «Coalition sociale-démocrate», qui sont Ettakatol, Al Jomhouri, le Parti du travail tunisien, le Mouvement des démocrates socialistes, le Courant démocratique, le mouvement Echaâb et l'Alliance démocratique. Est-ce après toutes ces années d'effervescence, qui ont eu le mérite de départager les camps, qu'ils viennent de découvrir ces «affinités» existant entre eux? Pourquoi décident-ils de se coaliser maintenant et pas plus tôt? Que pourrait être l'apport d'une telle alliance en cette conjoncture? Participerait-elle vraiment à résoudre la crise comme le soutiennent ses artisans? Ou bien, au contraire, elle compliquerait davantage la situation? Des amitiés souterraines Lorsqu'on essaye de voir de près et d'analyser l'attitude générale de ces nouveaux partenaires, on ne peut s'empêcher de se poser des questions sur les vraies raisons qui se trouvent derrière leur rassemblement. Ces doutes découlent, tout d'abord, des liens privilégiés qu'ils ont toujours eus avec les partis au pouvoir, auxquels ils prétendent s'opposer, que ce soit ceux d'aujourd'hui ou d'avant, au temps de la Troïka. Pour ce qui est de celle-ci, outre Ettakatol ainsi que le président du Courant démocratique, jadis dirigeant du CPR, qui en faisaient partie intégrante, les autres y ont appartenu, que ce soit par des moyens biaisés ou bien par les positions affichées en sa faveur. Le parti de la première catégorie est, bien sûr, le Mouvement du peuple qui était représenté au sein de la Troïka par Salem Labiadh, le fameux «ministre démissionnaire en exercice», vu qu'il n'a rendu le tablier de manière effective qu'avec le départ de cette dernière. Auparavant, il s'est vu obligé de déclarer une démission fictive pour essayer de sortir d'embarras et sauver la face, suite à l'assassinat du député Mohamed Brahmi, l'ex-secrétaire général de son parti, et où la Troïka et plus particulièrement Ennahdha étaient pointées du doigt par l'opposition qui leur imputait une responsabilité aussi bien politique que morale en raison de leur laxisme et de leur indulgence à l'égard des groupes extrémistes qui prêchaient, ouvertement, la violence. Quant aux partis de la seconde catégorie, ce sont Al Jomhouri, sa réplique l'Alliance démocratique, et le Parti du travail tunisien. Les positions favorables à Ennahdha de la part du parti d'Ahmed Néjib Chebbi étaient nombreuses, on en cite, notamment, celles relatives au soutien du gouvernement Hamadi Jebali, à l'instar de l'AD et du PTT, et de la candidature d'Ahmed Mestiri, qui était également le candidat du parti islamique, dans le cadre du Dialogue national. D'autre part, Al Jomhouri était l'allié de Nida Tounès, dans le cadre de l'UPT (Union pour la Tunisie), comme l'ex-PDP était l'allié d'Afek Tounès, dans le cadre d'Al Jomhouri. A travers ce bref rappel historique relatant des relations imbriquées, on voit très bien que ces sept partis étaient d'une manière ou d'une autre des partenaires de la coalition gouvernementale actuelle. Comment doit-on alors comprendre les propos de leurs dirigeants qui prétendent que leur Alliance se présentera comme un bloc d'opposition face aux partis libéraux de la coalition gouvernementale? Comment les alliés de ceux-ci peuvent-ils combattre leur politique libérale et constituer une alternative politique pour faire aboutir les aspirations des Tunisiens et le processus démocratique? Pourquoi ne l'ont-ils pas fait avant, à l'époque de la Troïka? Est-ce parce qu'ils étaient persuadés que celle-ci appliquait une politique sociale? Un paysage politique éclaté Au-delà de toutes ces considérations, ces partis coalisés disposent-ils de moyens réels pour pouvoir vraiment inquiéter le gouvernement actuel? Est-ce que leur poids électoral leur permet une tâche si ardue? Il est à rappeler qu'ils ne sont représentés que par neuf députés dans l'enceinte de l'ARP : trois pour le Courant démocratique, trois pour le Mouvement du peuple, un pour l'Alliance démocratique, un pour Al Jomhouri, et un pour le Mouvement des démocrates sociaux, et les autres, à savoir le PTT et Ettakatol, les grands perdants, n'en ont aucun. N'auraient-ils pas mieux fait en ralliant le Front populaire, qui, contrairement à ce que pensent ou prétendent certains, ne défend pas une idéologie de gauche, mais une démocratie sociale et politique, et la présence en son sein des mouvances sociale-démocrate, nationaliste ou baâthiste est là pour le prouver. D'ailleurs, Ahmed Khaskhoussi n'a pas quitté le FP pour des raisons inhérentes à sa ligne politique, mais pour des considérations essentiellement personnelles, se rapportant au ballottage favorable pour la candidate Mbarka Aouaynia, concernant la tête de liste de la circonscription de Sidi Bouzid. Alors, au vu de ces éléments, pourquoi la coalition des sept ne compose-t-elle pas avec ce qui existe? Apparemment, Al Massar l'a compris, ce qui expliquerait sa non-adhésion à cette dernière. Certains sceptiques s'appuient sur plusieurs faits, dont la médiatisation outrée, ces jours-ci, de certaines figures politiques de cette nouvelle coalition qui sont à peine représentées au sein du Parlement, pendant que d'autres qui le sont largement sont éclipsés, ainsi que le clash entre Mongi Rahoui et Iyed Dahmani autour de la présidence de la Commission des finances, pour soupçonner un certain stratagème. D'ailleurs, la chroniqueuse May Ksouri a demandé à ce dernier, dans l'émission «Klem ennes», s'il n'était pas en train de servir un agenda particulier en disputant à Rahoui ce poste qui revient de droit au FP en tant que majoritaire de l'opposition. La crédibilité de ce nouveau front, dit social-démocrate, est déjà entachée depuis le départ, puisque Mehdi Ben Gharbia a voté en faveur du gouvernement Essid et ne manquait aucune occasion pour lui témoigner son soutien inconditionnel. Sa position était très critiquée par le secrétaire général de son parti, Mohamed Hamdi. Alors, si au sein d'un seul parti, il n'y a pas de cohérence, peut-on espérer en avoir entre des partis divers? On a eu l'opportunité de voir les dissensions qui les ont divisés lors de leur tentative de se mettre d'accord sur un candidat consensuel pour la présidentielle. Il était manifeste qu'ils ne se sont pas réunis autour d'un programme et des objectifs bien précis, mais que chacun d'entre eux voulait faire prévaloir ses calculs étriqués, c'est-à-dire chanter en solo tout en donnant l'impression qu'il tenait à le faire en concert. Ne récidiveraient-ils pas cette fois-ci aussi? Donc, cette nouvelle coalition ne risque-t-elle pas de fragiliser une opposition déjà fragilisée? Décidément, le paysage politique est très éclaté : la coalition gouvernementale est bâtie sur des quotas partisans qui se sont révélés au grand jour, lors des nominations des nouveaux gouverneurs, et qui risquent fort de faire éclater cette «alliance sacrée» au prochain partage du gâteau. Les relations sont très tendues entre les principaux acteurs sociaux, à savoir l'Ugtt et l'Utica, à cause de la tension sociale qui va crescendo, et également entre le premier, d'une part, et les médecins et les avocats, de l'autre, en raison du fait que la centrale syndicale réclame l'augmentation des impôts de ces professionnels libéraux. Il en découle que si une crise politique éclatait maintenant, il n'y aurait pas de partie à qui s'en remettre pour essayer de la désamorcer, puisque les composantes du quartette sont à couteaux tirés. C'est dans ce contexte explosif que nos sept partis viennent nous proposer leurs «sept merveilles du monde». N'est-ce pas de nature à jeter de l'huile sur le feu et accentuer la crise? Avec des tiraillements pareils entre les protagonistes du Dialogue national, un gouvernement aussi vulnérable et une opposition si éparpillée, peut-on espérer la réussite du processus démocratique?