Chaque dernier dimanche du mois d'avril, le village sera livré aux enfants Personne n'y avait cru, au début. Débarquant de nulle part, ne connaissant personne, porteuse d'un concept utopiste, la bouche en cœur et les yeux pleins d'étoiles. Suzanne Prahl arrivait dans la Tunisie post-révolution comme un Ovni. Elle venait de Sarajevo, fascinée par la révolution tunisienne, et désireuse d'appliquer à ce pays qu'elle ne connaissait pas, mais dont le combat l'avait séduite, ce qu'elle avait réussi en Bosnie : la paix et la fraternité à travers les enfants. Arrivée seule, sans contacts, ni amis, sans argent ni sponsor, avec le seul soutien de l'ambassade d'Italie dont elle était l'invitée, Suzanne Prahl proposait de monter un festival pour enfants, le Kidfest, à l'image de celui qui, à Sarajevo, draine depuis des années des milliers d'enfants, et connaît un remarquable succès. Se disant que si cela avait été possible à Sarajevo déchiré par la guerre, cela devrait l'être pour réconcilier les Tunisiens de la révolution, elle ne mesura peut-être pas l'ampleur des difficultés. Et il est vrai que rien ne lui fut épargné. Mais aussi que très vite se créa un mouvement de sympathie pour ce projet porté par celle qu'on appelle à présent Suzanne Kidfest, qui montre qu'elle est prête à abattre des montagnes pour mener son rêve à réalisation. Bien sûr, elle aurait voulu que la fête investisse la mythique avenue Bourguiba. Cela ne fut pas possible. Remettant les pieds sur terre, très vite entourée par un groupe de volontaires que son enthousiasme et son charisme électrifient, elle crée une équipe de choc, et prouve que le travail, le talent et la générosité conjugués éclairent l'avenir, et font taire les oiseaux de mauvais augure. La première édition de Kidfest, accueillie par le village de Sidi Bou Saïd, fut un joli coup d'envoi. La deuxième édition, qui se tenait le dernier dimanche du mois d'avril, inscrit ce projet dans la continuité. Entre-temps, le pouvoir de conviction de Suzanne Kidfest avait fait des ravages. Enfants, parents, enseignants, associations, ambassades ont rejoint le projet, l'ont adopté, et s'en sont fait partie prenante. Douze associations, sept ambassades, quelques sponsors, mais pas encore assez, ont accompagné le mouvement Tout le village a été décoré de dessins, bannières et banderoles fabriqués par les enfants, les parents, ou les étudiants des instituts environnants. Une gigantesque Kids Parade de majorettes, d'échassiers, de clowns, de musiciens, mais aussi et surtout d'enfants déguisés en « ce qu'ils veulent être plus tard », dans des costumes qu'ils ont eux-mêmes fabriqués. Un grand chapiteau, le Kids Stage offrait une scène aux enfants, et était entouré de tentes des ambassades, des associations, de Benetton qui offrait des tee-shirts aux enfants talentueux. Un « coin lecture » offrait aux enfants une pause poétique, avec une moisson de livres pendant aux arbres, invitant à être lus. Un petit Ciné-concert a été installé dans la Maison des Associations par l'Institut Français de Tunisie. Il a reçu une conteuse, huit musiciens de l'Orchestre symphonique de Tunis qui jouait pendant la projection d'un film d'animation. Au Café des nattes, on retrouvait la tradition du Fdaoui, ou conteur public, et le Dar Zarrouk a mis en place un atelier raffiné de cuisine. A la Villa Bleue, on avait installé le QG des journalistes, et les invités internationaux du festival. C'est désormais décidé : la municipalité de Sidi Bou Saïd a décidé d'inscrire Kidfest dans son calendrier annuel de festivités. Chaque dernier dimanche du mois d'avril, le village sera livré aux enfants qui se révèlent être les meilleurs ambassadeurs de leur pays.